Poulet de ferme en Zambie © S. Jetha

La Chine et l’Inde: deux points noirs sur la carte de la résistance aux antibiotiques vétérinaires

23 septembre 2019
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Le Pr Marius Gilbert n’est pas médecin. Mais il connaît bien la problématique des antibiotiques. Principalement ceux utilisés dans le secteur de l’élevage. Ce secteur est le premier consommateur d’antibiotiques au monde.

Après avoir d’abord travaillé sur une estimation globale de l’utilisation d’antibiotiques dans les élevages dans le monde, Marius Gilbert, Maître de recherche du F.R.S.-FNRS à l’Université Libre de Bruxelles, s’est fendu d’une analyse sur l’impact que pourraient avoir diverses politiques publiques en vue de réduire cette consommation.

En vingt ans, une progression significative des résistances chez le poulet et le porc 

Aujourd’hui, avec des collègues de l’université de Princeton et le Pr Van Boeckel, bioingénieur de l’ULB désormais à l’Ecole Polytechnique de Zurich (ETH), Marius Gilbert vient de publier la première cartographie globale de la résistance aux antibiotiques dans le monde.

En un coup d’oeil, le problème saute aux yeux. Entre 2000 et 2018, la proportion d’antimicrobiens présentant plus de 50% de résistance aux antibiotiques est passée de 15% à 41%.

Distribution géographique de la résistance antimicrobienne dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Le P50 est la proportion de composés antimicrobiens présentant une résistance supérieure à 50 %.
Distribution géographique de la résistance antimicrobienne dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Le P50 est la proportion de composés antimicrobiens présentant une résistance supérieure à 50 %.

Pour arriver à ces constats, les chercheurs ont compilé des dizaines de milliers de publications réalisées par des vétérinaires dans le monde. Il en est sorti une base de données intégrée renseignant la présence de bactéries résistantes dans les élevages. Les antimicrobiens présentant les taux de résistance les plus élevés étaient également ceux qui sont le plus utilisés en production animale, à savoir les tétracyclines, les sulphonamides, la pénicilline, et les quinolones.

« Nous parlons ici de la résistance aux antibiotiques utilisés dans le secteur de l’élevage et dans les pays émergents », précise d’emblée le Pr Gilbert, directeur du Laboratoire d’épidémiologie spatiale, à l’école de bioingénieurs de l’ULB.

Manque de régulations en Afrique

« Et plus précisément des élevages de poulets et de porcs. C’est dans les élevages de poulets que les chiffres ont le plus augmenté. La proportion d’antimicrobiens présentant plus de 50% de résistance y a augmenté de 15% à 41%. Pour les porcs, nous constatons une augmentation de 13% à 34%. »

« Au cours de la même période, une autre tendance apparaît également », précise le chercheur. « Sur base des échantillons de viande récoltés et analysés régulièrement, nous remarquons que l’usage des antibiotiques dans le secteur de l’élevage, et dans les pays émergents, a également augmenté ».

Pourquoi ces hausses? « Essentiellement pour éviter que les animaux tombent  malades et deviennent donc impropres à la consommation », explique encore le chercheur. « Il ne s’agit pas, dans la majorité des cas, d’un usage destiné à favoriser la croissance des animaux. Sauf en Afrique, où cette pratique n’est pas régulée ».

L’usage croissant des antibiotiques dans les élevages de ces pays fait écho à la demande toujours plus grande des consommateurs de ces pays pour une alimentation riche en protéines animales. « Cependant, si l’utilisation à grande échelle d’antimicrobiens a permis une production animale intensive, elle a également entraîné une augmentation de l’apparition de maladies infectieuses résistantes aux antimicrobiens chez les animaux. Des résistances qui passent parfois vers les êtres humains », indique la revue Science, qui publie les résultats de cette recherche.

« Hot spots » émergents au Brésil et au Kenya

L’étude à laquelle le Pr Gilbert vient de collaborer révèle aussi quelques « Hot spots » en matière de résistance aux antibiotiques.

Selon ces données, la Chine et l’Inde – qui abritent plus de la moitié des porcs et des poulets du monde – sont les plus concernées par cette problématique. Les chercheurs remarquent aussi que de nouveaux « points chauds » émergent au Brésil et au Kenya.

“Les régions touchées par les niveaux les plus élevés de résistance devraient prendre des mesures immédiates pour préserver l’efficacité des antimicrobiens essentiels en médecine humaine, en limitant leur utilisation dans la production animale “, préconisent les chercheurs. Seront-ils entendus?

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