La révolution copernicienne a détrôné la Terre du centre de l’Univers pour y mettre le Soleil. Notre vision actuelle de l’Univers, avec un Soleil en périphérie de notre galaxie, est le fruit d’une deuxième révolution « copernicienne ». Elle a eu lieu il y a un siècle et fut marquée par le « grand débat » du 26 avril 1920. Elle a ouvert la voie à une décennie prodigieuse en termes de découvertes astronomiques. Et marque un basculement dans notre représentation de l’Univers.
Mise au point sur une controverse scientifique
Sur invitation de Georges Hale, figure emblématique de l’astronomie du début du 20e siècle alors directeur des observatoires de Yerkes et du Mont Wilson, deux astronomes américains sont conviés à confronter leurs points de vue sur la nature et la distance de ce qui est à l’époque appelé les « nébuleuses » (lesquelles sont en réalité des galaxies situées à l’extérieur de la Voie lactée). Les deux protagonistes se nomment Heber Curtis, spécialiste des nébuleuses spirales et des novae et Harlow Shapley, expert des amas globulaires.
Lors de ce grand débat, mené au Musée national d’histoire naturelle des Etats-Unis, deux conceptions de l’Univers s’y affrontent, chacune en rupture avec la théorie alors communément acceptée. « Ce fut l’occasion de faire une mise au point sur une controverse et de cristalliser les problèmes astronomiques de l’époque. Ce fut le point de départ d’une décennie charnière », explique Dre Yaël Nazé, chercheuse FNRS et astrophysicienne à l’ULiège.
Hubble démontre l’existence d’objets extragalactiques
En effet, dans la décennie qui suivit, tous les problèmes mis à jour lors du grand débat ont été résolus. « En 1924, Edwin Hubble utilise la calibration de Shapley pour déterminer la distance de plusieurs spirales. Le résultat est si grand que la conclusion est inévitable : il s’agit bien d’autres galaxies », poursuit-elle.
« En 1929, Georges Lemaître puis Edwin Hubble et Milton Humason montrent que ces objets s’éloignent avec une vitesse proportionnelle à leur distance : l’univers est en expansion ! » Néanmoins, cette théorie fut fort critiquée à l’époque car elle émanait d’un homme d’Eglise, le Belge Lemaître étant en effet chanoine en plus d’être physicien. Ce n’est qu’en 1965, lorsque la première détection du fond cosmologique a été réalisée, expérience prouvant la théorie du Big Bang, que ce concept est arrivé sur le devant de la scène grand public.
Le Soleil n’est plus au centre, mais en périphérie de la galaxie
« En 1930, Julius Trümpler démontre la présence d’absorption par le milieu interstellaire : cela explique pourquoi le centre galactique n’est pas visible. Cela change aussi légèrement la calibration de Shapley, mais confirme son résultat : le Soleil est périphérique et non central, la Voie lactée grande et non petite », commente l’astrophysicienne.
A la fin de cette décennie prodigieuse, la représentation de l’Univers est complètement différente de ce que l’on en avait 10 ans plus tôt : il existe une myriade de galaxies autres que la nôtre, le Soleil n’est plus en position centrale mais en périphérie de la Voie lactée, l’Univers est en expansion, dynamique. En parallèle, la compréhension stellaire se met en place.
Copernic renverse la représentation du monde
Prenons le temps de le remonter un cran plus loin, au 16e siècle. L’impact philosophique de la première révolution copernicienne est très fort. La question de la pluralité des mondes émerge : sommes-nous seuls dans l’Univers ? La Terre est mise en dehors de son point central. C’est l’avènement de l’ère de l’héliocentrisme.
« Cela influence Descartes, Kant. La philosophie, mais aussi l’art et les sciences changent de nature. On a alors recours à de la science beaucoup plus expérimentale, davantage basée sur des d’observations, des mesures, etc. Au 17e siècle, la révolution scientifique intègre la révolution copernicienne. Ne plus se mettre au centre, commence en physique avec Copernic et finit au 19e siècle avec Darwin et sa théorie de l’évolution, où l’Homme perd sa place centrale », analyse Yaël Nazé.
« Dans le milieu artistique, la mutation a lieu en parallèle de la révolution scientifique, mais avec un peu d’avance. Les artistes débutent leur révolution au 15e siècle et continuent jusqu’au 17e siècle », explique l’astronome, auteure de « Art et Astronomie : Impressions célestes », un ouvrage paru chez Omniscience.
Pas de retombées sociétales
« Ce qui est particulier avec la deuxième révolution copernicienne, c’est que, contrairement à la première, l’impact sociétal fut nul.»
Comment l’expliquer ? «Cela me sidère. Etait-ce le fait que la première révolution copernicienne avait déjà mis la Terre en dehors du centre ? Et que faire du même avec le Soleil n’était que la suite « logique » ? Etait-ce le fait que la relativité et la physique quantique étaient alors en train de monter en puissance ?», se questionne-t-elle.
En effet, en 1919, soit à la même période que le grand débat de Shapley et Curtis, avait lieu une éclipse totale qui fut utilisée pour procéder à la toute première vérification expérimentale de la théorie de la relativité d’Einstein. Les artistes de l’époque ont préféré traiter ce sujet que celui de l’extension de l’Univers.
« Il faudra du temps pour que la deuxième révolution copernicienne percole. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’on transite vers une représentation d’un Univers à grande échelle, avec beaucoup de galaxies, dynamique, avec un Soleil en périphérie. » Ce sera alors le début d’une nouvelle ère astronomique, celle des quasars, des pulsars, etc.