Le paléontologue Yves Coppens est décédé à 87 ans. Le professeur émérite au Collège de France a raconté 36 épisodes de sa vie dans «Une mémoire de mammouth». Son dernier livre vient de paraître aux éditions Odile Jacob. Parsemé de gouttes de science et d’histoire.
Les interlocuteurs de l’auteur passionné par la Préhistoire depuis son enfance? Des bébés étonnés. Des enfants et des adolescents éblouis. Des adultes à nouveau éblouis. Parmi ces rencontres, 23 le sont avec des personnes. Et 13 avec des animaux, des plantes, des roches.
«Dans ce livre, tous les chapitres sont venus dans ma mémoire de mammouth et sur mon écran, dans un désordre total, le bon désordre des souvenirs qui s’amusent», précisait le membre de l’Académie française des sciences. Membre associé émérite de l’Académie royale de Belgique.
Les 14 derniers milliards d’années
Le livre s’ouvre sur les 14 derniers milliards 600 millions d’années de la Terre. «On sait aujourd’hui que sur les 10 milliards d’années que le Soleil a à vivre, il ne lui en reste que la moitié», relevait le scientifique.
«La paléontologie et ses précieux fossiles nous montrent que l’année n’a pas toujours eu 365 jours. La géologie et la paléoclimatologie nous enseignent que notre planète a changé parfois son inclinaison sur le plan de son orbite. Entraînant, par exemple, les rafraîchissements polaires d’il y a 10 et 3 millions d’années, essentiels, dans l’histoire de notre émergence. Et les multiples calculs actuels nous apprennent encore que la Lune, d’apparence si fidèle, est bel et bien, elle-même, en train de s’éloigner de nous. Ce qui ne sera pas sans conséquences!» Les primates, arboricoles et frugivores, naissent dans les 66 derniers millions d’années.
Le berceau de l’humanité
Doté de 7 années d’expérience en Afrique de l’Ouest, Yves Coppens est choisi, à 32 ans, pour mettre sur pied ce qui est devenu la Mission scientifique française de l’expédition internationale de l’Omo, la rivière du sud-ouest de l’Éthiopie. En Afrique de l’Est.
«Les paléontologues, parfois fatigués de la prospection ou de la fouille par 40 degrés Celsius, au moins, s’offrent une pause en plongeant sous le microscope des biologistes», se souvient le Pr Coppens. «Ces derniers, parfois fatigués par les longues heures passées sur leurs optiques, s’invitaient sur le terrain pour collecter les fossiles si précieux dans l’espoir d’apercevoir quelque ossement ou quelque dent d’hominidés.»
En 1967, les paléontologues français Camille Arambourg et Yves Coppens découvraient le Paraustralopithecus aethiopicus. Le fossile qu’il fallait à l’Éthiopie pour entrer dans le berceau de l’humanité.
Yves Coppens se souvient des 10 années de travail aux côtés de Jean de Heinzelin de Braucourt. «Le géologue belge fouillait dans la vallée de la Semliki, au Congo alors dit belge, à la limite de l’Ouganda, lorsque sur un site du paléolithique supérieur appelé Ishango, il mit au jour, en 1950, deux bouts d’os longs bizarres. Mesurant respectivement 10 et 14 centimètres. Ces fragments d’os étaient en fait des manches d’outils.»
À Bruxelles, les collections du Muséum des Sciences naturelles abritent un des bâtons d’Ishango, vieux de 20.000 à 25.000 ans, gravé d’encoches. «Ces marques pourraient être un témoin du début de la pensée mathématique», pensait Yves Coppens, codécouvreur avec Maurice Taieb et Donald Johanson de Lucy. L’australopithèque africaine de 1,10 m découverte en 1974, en Éthiopie. «Une immense étape dans le développement intellectuel du genre humain et de son espèce sapiens.» Deux compositeurs belges, Chris Joris et Daniel Schell ont créé un oratorio inspiré par cette découverte.
Le paléontologue Yves Coppens conclut son troisième volume de mémoires dans la joie. Pour «sortir sans fermer la porte. J’ai, de toute façon, laissé la clé sous le paillasson.»
Lucy à la portée des enfants
Aux éditions Odile Jacob, dans la collection «Avant l’histoire» que dirigeait Yves Coppens, le géologue français Maurice Taieb, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a dédié son conte «Il était une fois Lucy», à tous les enfants du monde. Richement illustré par Cécile Gambini. La spécialiste des microfossiles de plantes est rattachée au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement.
Dans la fiction de Maurice Taieb, Awa, l’héroïne, âgée de 9 ans, trouve des fossiles en menant son troupeau de chèvres. Conseillée par son institutrice, elle les montre au géologue. Avec le chercheur, elle découvre Lucy qui vécut il y a quelque 3,2 millions d’années en Éthiopie. Le nom est lié à la chanson des Beatles «Lucy in the sky with diamonds». Écoutée par les chercheurs au moment de la découverte en 1974.