Catherine De Wolf traque le carbone gris dans nos bâtiments

24 juillet 2017
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 5 minutes

SERIE (6/6) « Made in WBI » 


Les scientifiques de Wallonie et de Bruxelles ont le cerveau qui bouillonne et des fourmis dans les jambes. Résultat : ils exercent leur passion pour la recherche aux quatre coins de la planète.

Le carbone gris, vous connaissez ? C’est le carbone émis pour la construction d’un bâtiment. Et celui du stade olympique de Pékin, construit pour les jeux de 2008, est dix fois plus élevé par siège que celle du stade olympique de Londres, érigé quatre ans plus tard.

« Cela tient à différents paramètres », explique le Dr Catherine De Wolf.

« En quatre ans, les mentalités ont bien changé en ce qui concerne l’empreinte carbone des bâtiments. Ce différentiel de « carbone gris » s’explique aussi par les matériaux utilisés.

« À Londres, on a privilégié un béton ‘’low carbon’’ », indique l’ingénieure architecte de l’ULB-VUB, qui boucle actuellement son doctorat aux Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Birdsnest
« bird’s nest » / Stade « nid d’oiseau » de Pékin

« À Pékin, ce sont des dizaines de milliers de tonnes d’acier qui ont été utilisées. En cause: le design du bâtiment. L’effort esthétique de ce stade baptisé « Nid d’oiseaux » est remarquable. À Londres, le stade est d’un design plus classique. Et surtout, il a été conçu pour pouvoir être démonté plus aisément, ce qui permet un recyclage plus aisé des matériaux. L’empreinte carbone du bâtiment avait été prise en compte par ses concepteurs dès la phase de design ».

Deux Masters et un doctorat au MIT

Lors de son Master réalisé à la VUB et à l’ULB, Catherine De Wolf s’intéressait déjà au cycle de vie des immeubles.

« À ce moment-là, je travaillais sur les meilleures options possible de rénovations de logements sociaux à Bruxelles avec comme contrainte le recyclage des matériaux ».

Grâce à diverses bourses, dont une de WBI, la jeune ingénieure architecte met ensuite le cap sur les États-Unis.

« Mon but y était de faire un second master en « Building technology », au département d’architecture du Massachusetts Institute of Technology. Mais au laboratoire, on m’a proposé de continuer avec un doctorat. Ce que j’ai accepté ».

Au MIT, le carbone gris, le carbone intrinsèque des bâtiments, est au centre de ses travaux.

« Il s’agissait de s’intéresser aux émissions de carbone intervenant durant l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de la construction du bâtiment. »

Chiffrer le carbone intrinsèque des structures

« Nous ne parlons donc pas des émissions liées à l’exploitation du bâtiment tout au long de sa vie (isolation, chauffage, refroidissements, etc.) mais du carbone gris relatif à la structure des bâtiments, les poutres, les murs porteurs, etc. Je ne m’intéresse pas à l’habillage des bâtiments ».

Pourquoi cet intérêt exclusif pour les structures ? « Parce que c’est le gros morceau d’un immeuble. C’est là que se situe 90% de son carbone gris. »

Au fil de sa thèse, Catherine De Wolf a élaboré une double base de données concernant ce fameux carbone. Elle chiffre l’empreinte des bâtiments étudiés tout en s’intéressant au score « carbone » de différents types de matériaux (bois, acier et béton), en fonction de leur origine, de leur mode de fabrication…

« Le cycle des matériaux peut être décrit de diverses manières », précise la chercheuse.

  1. De l’extraction des matières premières jusqu’à leur arrivée à l’usine de transformation/fabrication.
  2. De l’extraction au site de construction.
  3. De l’extraction à la démolition du bâtiment (et la gestion des déchets)
  4. De l’extraction au recyclage complet des matériaux d’un bâtiment en fin de vie.

« Mes travaux s’intéressent à tous ces cycles. Mais de manière pragmatique, c’est surtout celui qui va de l’extraction à l’usine qui est le plus pertinent quand on analyse les structures des bâtiments », assure-t-elle.

Cathédrale de bambou et briques de terre crue

En combinant les informations de ces deux bases de données, elle dérive le taux de CO2 émis pour la construction de chaque structure.

« Ce qui permet de donner un label environnemental à ces bâtiments », dit-elle. « Et pour le futur, orienter de manière éclairée les choix des architectes et des ingénieurs, dès la phase de conception, de design d’un immeuble. Ces deux professionnels peuvent travailler main dans la main sans le moindre souci, ni sacrifice de l’esthétisme sur l’autel de la durabilité d’un bâtiment ».

« Regardez ces cathédrales en bambou érigées en Colombie ou ces vastes immeubles montés en briques de terre crue en Afrique », précise la chercheuse. Ils sont non seulement beaux, mais ils présentent également une empreinte carbone quasi nulle. C’est également possible chez nous.

Et « chez nous”, pour le Dr De Wolf, ce sera bientôt la Suisse. Après son doctorat américain, elle met désormais le cap sur l’École polytechnique fédérale de Lausanne pour un postdoctorat au Laboratoire des structures expérimentales. De quoi affiner encore son expertise en architecture durable.

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