Cet automne, cela fait 125 ans que la Belgica quittait les environs de Rio de Janeiro, au Brésil, pour aller plus au Sud, vers l’Antarctique, en longeant les côtes d’Amérique du Sud. L’ancien baleinier norvégien Patria, transformé et rebaptisé Belgica par le Belge Adrien de Gerlache de Gomery, voguait vers son destin, emmenant avec lui un groupe d’une vingtaine d’hommes : marins, scientifiques et officiers. Leur objectif? En apprendre davantage sur le dernier continent inexploré de la planète.
Depuis peu, la Bibliothèque royale de Belgique (KBR) propose de redécouvrir en ligne cette saga scientifique qui conduisit de Gerlache et son équipage à vivre le tout premier hivernage en Antarctique, région parmi les plus inhospitalières de la planète. Une saga racontée par l’entremise d’une carte narrative illustrée de nombreux documents originaux conservés à la KBR.
Travail géographique
L’histoire de ces explorateurs de l’Antarctique trouve son origine à Londres, quand, lors du sixième Congrès géographique international qui s’y tient en juillet 1895, des scientifiques estiment que « l’exploration des régions antarctiques est le plus gros travail d’exploration géographique qui reste à accomplir (…) et ce travail devra être entrepris avant la fin du siècle. »
« Bien entendu, on s’attendait alors à ce qu’une expédition britannique ou américaine se charge de cette mission, avec l’appui éventuel des pays scandinaves. Cependant, ils seront devancés par un jeune officier de marine originaire d’un tout petit pays sans véritable tradition maritime », nous rappellent les auteurs de cette carte graphique.
Le meilleur steak, selon Roald Amundsen
Le lundi 16 août 1897, la Belgica quitte le port d’Anvers. Le trois-mâts, barque de trente mètres de long, et muni d’un moteur, entame son voyage. Outre le commandant de Gerlache, le capitaine Georges Lecointe et le premier lieutenant Roald Amundsen disposent des cartes les plus récentes de l’Amirauté anglaise pour les mener vers ce qu’on appelait encore à l’époque la Terra Australis Incognita.
Ce sont ces cartes, annotées et datées par de Gerlache lui-même, qui servent de fil conducteur à cette narration. Des cartes qui ont été cédées en 1941 à la Bibliothèque royale de Belgique. Le voyage digital proposé par l’institution scientifique comprend également des extraits de récits de plusieurs membres de l’équipage. Les découvrir en ligne est un régal.
Outre la saga de cette expédition et du tout premier hivernage jamais réalisé en Antarctique par des êtres humains (la Belgica passera l’hiver en Antarctique, de manière totalement involontaire, emprisonnée par les glaces), on découvrira au fil de la lecture quelques détails surprenants. Dont celui-ci: « les conditions extrêmes et le manque de nourriture fraîche poussent les membres de l’équipage dans leurs derniers retranchements », indique la KBR. « Un régime forcé à base de viande de pingouin et de phoque leur permet à peine de survivre. Amundsen est apparemment le seul à penser qu’il n’existe pas de meilleur steak .»
Une riche moisson scientifique
Scientifiquement parlant, l’expédition engrangera aussi une belle moisson d’informations.
Certaines formations de la péninsule Antarctique sont découvertes et baptisées par de Gerlache (île de Brabant, île d’Anvers…). Au total, 88 sites géographiques (caps, baies, montagnes, îles, détroits) découverts lors de ce voyage enrichiront la cartographie. « Les sondages en profondeur ont également fourni la preuve qu’il y avait des terres sous la glace antarctique et que l’Antarctique pouvait donc, à juste titre, être qualifié de sixième continent. » Globalement, l’expédition a apporté une contribution importante à la cartographie des fonds marins de l’océan Austral.
Les scientifiques à bord livrent également une première analyse détaillée sur le climat de la région côtière de l’Antarctique. « L’équipage constatera, contrairement au pôle Nord, que la température y dépasse rarement zéro degré, même en été », indiquent les auteurs de la carte narrative.
« Bien que l’un des objectifs principaux de l’expédition – à savoir rejoindre le Pôle Sud magnétique – n’ait pas été atteint, l’expédition a livré les premières mesures fiables du magnétisme terrestre sur l’Antarctique. »
« La faune et la flore de la péninsule antarctique seront soigneusement cartographiées. Une des découvertes les plus importantes est l’existence d’animaux terrestres, dont la Belgica antarctica, un insecte endémique aptère. Pas moins de 1200 espèces animales et 500 espèces végétales – essentiellement des mousses et des algues – provenant de la Terre de Feu et de la péninsule antarctique seront décrites. Beaucoup d’entre elles seront mentionnées pour la première fois par l’expédition de la Belgica. »
Enfin, 327 espèces animales antarctiques (dont 188 inconnues), 82 espèces de lichens, 78 espèces d’algues et plus de 700 échantillons de roches et de sol seront ramenés en Belgique. Ces échantillons sont aujourd’hui encore conservés à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique.
Accès libre
Après avoir découvert cette carte narrative de la KBR sur l’expédition de la Belgica, pourquoi ne pas plonger davantage dans le quotidien de cette expédition? Plusieurs ouvrages ont été publiés, dont celui de 1902 d’Adrien de Gerlache de Gomery intitulé « Quinze mois dans l’Antarctique ». Ou encore le livre signé par Georges Lecointe « Au pays des manchots. Récit du voyage de la Belgica », voire, en anglais, l’ouvrage de Frederick Cook, « Through the First Antarctic Night ».
Tous ces ouvrages sont disponibles gratuitement en ligne. Les photos qui illustrent cet article sont tirées du livre de Frederick Cook et de la carte narrative de la KBR en ce qui concerne les cartes et plans.