L’échange de cadeaux, véritable rituel social

24 décembre 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Les fêtes de fin d’année représentent une période propice aux échanges de cadeaux. Une tradition qui va bien au-delà de simples objets emballés sous le sapin. Loin d’être anodins, les gestes d’offrir et de recevoir s’inscrivent dans un rituel fondé sur des règles et des habitudes, qui varient largement selon les groupes. Pourquoi accordons-nous tant d’importance à cet échange ? Et que disent nos choix de cadeaux sur la nature de nos relations ? Eclairage sur ce phénomène avec Assaad Azzi, professeur émérite en psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles.

Les cadeaux, marqueurs de l’évolution des relations

« Qu’il s’agisse d’un objet, d’une invitation à dîner ou d’une sortie, offrir est un symbole d’attention, de gratitude et/ou d’engagement, qui va renforcer les liens sociaux. C’est particulièrement vrai dans les relations naissantes, où l’initiative de faire un présent signifie à l’autre un désir d’approfondir le lien. La personne va envoyer le message “tu es spécial à mes yeux” », développe Assaad Azzi.

Dans les relations établies —amicales, familiales ou de couple — les cadeaux peuvent devenir secondaires, remplacés par d’autres marques d’affection (l’écoute, les services rendus, les mots d’amour, etc.). « L’idée de maintenir cet échange sera alors négociée, implicitement ou explicitement. Si l’échange persiste, il sera généralement ritualisé ». Il s’organisera, notamment, autour d’événements spécifiques, tels que Noël, les anniversaires ou d’autres occasions « spéciales » pour les individus.

Le poids de la réciprocité

Le geste d’offrir et de recevoir est accompagné d’une palette d’émotions. Si la joie et la surprise dominent, des sentiments plus complexes peuvent quelquefois se manifester. Le partage des marques d’affection repose sur la réciprocité, une norme sociale qui consiste à répondre à une action (services, faveurs, biens…) par une action équivalente, immédiatement ou à long terme, contribuant ainsi à maintenir et à structurer les relations sociales.

« On peut donc se soucier que l’autre ne soit pas satisfait du présent choisi. Le bénéficiaire peut aussi craindre de ne pas pouvoir rendre la pareille ». Si l’échange se passe bien, il peut y avoir soulagement. « Mais si le destinataire estime mériter mieux, ou que le cadeau n’est pas à hauteur du lien, cela peut provoquer une déception mutuelle et amener des doutes sur la relation. »

Plus rarement, des émotions négatives seront attachées à l’échange, comme la colère et le rejet. Cela peut arriver quand la valeur du cadeau est disproportionnée – offrir un bijou onéreux au début d’une relation amoureuse, par exemple. « Cela place le destinataire dans une obligation affective et d’engagement. Il peut se sentir dominé, car il ne peut/veut pas rendre la pareille ».

La notion de coût est ici importante, car, au-delà du symbole, les présents ont aussi une valeur monétaire. « Les deux sont inséparables dans nos sociétés. La réciprocité appelle donc non seulement à un retour de cadeau, mais aussi d’une valeur similaire. »

Calibrer la valeur symbolique et matérielle

Pour éviter ces écueils, l’échange de cadeaux repose sur des règles tacites ou explicites, plus ou moins strictes selon les cultures. Dans les familles nombreuses ou dans un grand groupe (une équipe de collègues, par exemple), leur valeur peut être ouvertement négociée. « On le constate à travers les listes de naissances ou de mariage, qui proposent des cadeaux de différentes valeurs ». De plus en plus courantes, les « listes de souhaits » ouvrent aussi à cette négociation. Il sera aussi possible de fixer clairement la valeur du cadeau par une règle de budget, comme dans les « cacahuètes » de Noël.

« Dans les échanges à deux ou en petits groupes, en revanche, il est plutôt mal vu de discuter le prix d’un cadeau. La négociation se fera plutôt de manière tacite et au cours du temps. Par exemple, s’il est décidé de s’offrir des cadeaux d’anniversaire entre amis, une valeur initiale sera déterminée par la personne qui prendra l’initiative la première. Souvent, les autres offriront par la suite des cadeaux d’une valeur équivalente. »

Des dons sans attente de retour

Sans surprise, un malaise social s’installe quand la réciprocité est rompue, ou si les usages ne sont pas respectés. « Je pense cependant que la plupart des gens sont capables de s’arranger entre eux. Si on souhaite revoir les habitudes jusqu’ici établies, c’est signalé et discuté. La disparition ou l’évolution du rituel n’impactera alors pas les liens sociaux.»

Précisons, enfin, que certaines relations peuvent échapper à la norme de réciprocité. Citons les dons à des œuvres de charité ou à des personnes en situation de précarité. Ou bien les cadeaux offerts par les grands-parents à leurs petits-enfants. « Dans ce cadre, la personne prendra plaisir à offrir, sans attendre quelque chose en retour. Le geste renforce ici l’estime de soi. C’est porteur de sens pour la personne elle-même. Il peut aussi contribuer à donner du sens à la relation, ou à conférer une place aux yeux des autres. »

Offrir un cadeau est donc bien plus qu’un rite commercial. Que le partage soit ritualisé, spontané ou même asymétrique, il révèle la subtilité des interactions humaines et notre besoin de nourrir le lien social.

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