La sécurité passe par les bases de données et leur dialogue

25 janvier 2022
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Passe sanitaire, liste des passagers d’un avion, réservations en ligne, listes électorales, mais aussi courriels informatifs émanant de clubs, d’associations, abonnements divers, réseaux sociaux, soins de santé, images de caméras de surveillance, téléphonie mobile… Les données sont partout.

Le Dr Rocco Bellanova, professeur invité à l’Institut d’Études Européennes (IEE) de l’Université Saint-Louis (Bruxelles), et professeur à l’Université d’Amsterdam, s’y intéresse de près. « J’étudie le rôle des données numériques dans la société. Je m’intéresse à la manière dont elles nous aident à gouverner, mais aussi comment elles nous gouvernent. J’étudie également les données en tant qu’objets; des objets qui doivent nécessairement être eux aussi gouvernés. »

L’expertise du chercheur en la matière, développée au fil des ans à l’Université Saint-Louis ainsi qu’à la Vrije Universiteit Brussel, et nourrie d’expériences postdoctorales menées en Norvège et aux Pays-Bas, a retenu l’attention du Conseil européen de la Recherche (ERC). En ce début d’année, le Dr Bellanova est un des trois lauréats de la Fédération Wallonie-Bruxelles à s’être vu attribuer une « Starting Grant » de l’ERC. Les deux autres bénéficiaires de cette bourse de recherche de 5 ans (et dotée à chaque fois de quelque 1,5 million d’euros), sont deux scientifiques de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain).

Dr Rocco Bellanova © Christian Du Brulle

Données et sécurité

Dans le cadre de son projet de recherche baptisé « DATAUNION » (« The European Data Union: European security integration trough database interoperability »), Rocco Bellanova va travailler sur les pratiques dans le domaine des données en lien avec la sécurité en Europe. Le tout en gardant à l’esprit le rôle important que joue le droit dans ce contexte, et notamment celui qui touche à la vie privée.

Quand il parle de sécurité, le chercheur évoque le contre-terrorisme, la collaboration des polices, le contrôle des frontières et d’autres approches critiques ou d’enjeux qui ne sont pas traditionnellement situés dans le champ de la sécurité et qui y basculent au fil du temps. Les migrations, par exemple.

A qui s’adresse cette sécurité? Comment perçoit-on quelque chose comme étant une menace? Quelles implications cette dimension sécuritaire peut-elle avoir sur la liberté des citoyens?  Sur la gouvernance? Voilà quelques-unes des questions qui seront explorées et croisées entre domaines des sciences et des techniques et approches plus sociologiques et philosophiques.

« Les données sont au cœur des pratiques de la connaissance, y compris celles qui concernent la sécurité ».

Les enjeux de l’interopérabilité

« Quels sont les algorithmes qui traitent ces données ? Les systèmes où les données sont collectées, sont-ils interopérables? Quelles sont les ambitions des différents acteurs dans ce contexte? Quelles sont leurs pratiques? Ce n’est pas à moi de juger. Par contre, comme chercheur, ces dimensions m’intéressent. Les données ont été et sont très importantes pour la construction de l’Union européenne. Je pense à l’espace Schengen et à l’élargissement de l’Union. Il a fallu que les nouveaux pays, leurs nouvelles administrations, puissent rejoindre les systèmes d’informations en place. Cela a été, et reste, un enjeu primordial pour l’Europe. »

Quand on parle de données et de leur gestion, on pense d’emblée à l’amélioration de l’efficacité des algorithmes. « Mais il ne faut pas perdre de vue la question du matériel et des infrastructures, de l’interopérabilité de ces systèmes et des limites qu’on veut imposer aux utilisateurs », reprend le Dr Bellanova.

« Le numérique, ce n’est pas que notre futur, comme on aurait peut-être tendance à le penser un peu trop rapidement », dit-il encore. « C’est aussi quelque chose qui fait partie de notre présent, et même de notre histoire. »

« Tout le monde ne doit pas avoir accès à tout. C’est aussi une question de respect de la vie privée. Une problématique qui se situe également dans un contexte où les bases de données ont été élaborées à des époques différentes, pour des besoins différents, avec des systèmes différents ».

Quatre objectifs scientifiques

Le projet DATAUNION poursuit quatre objectifs. « Il s’agit, tout d’abord, de développer un appareillage conceptuel qui permette de comprendre finement la question de l’interopérabilité des bases de données. L’idée étant de savoir comment théoriser les pratiques « sociomatérielles » afin de répondre aux enjeux politiques, technologiques et juridiques », explique le Dr Bellanova.

Le deuxième objectif est d’ordre méthodologique. « Par des approches multimodales, mêlant des techniques classiques de recherche en sciences sociales et des apports venus du domaine des humanités numériques, il s’agit de reproduire à petite échelle ce que les acteurs du domaine font. Ceci pour comprendre les enjeux et les problèmes pratiques qui émergent en cours de route, et ainsi mieux évaluer les politiques européennes dans ce domaine. »

Un objectif plus empirique visant à identifier les processus et les impacts de l’interopérabilité des bases de données est également au programme. Enfin, un objectif éthico-politique, centré sur les ambitions, les visions éthiques et normatives de l’UE et leurs implémentations vient compléter la feuille de route de ce projet. Dont les résultats sont attendus dans cinq ans.

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