Justin Coppe se préparant à un tir au javelot lors de l’expérimentation © ULiège / TraceoLab

Homo Sapiens utilisait déjà des armes à longue portée il y a 31.000 ans

25 mars 2024
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Les pointes en silex exhumés lors de fouilles de sauvetages entre 1966 et 1968 sur le site de Maisières-Canal (Mons) (avant sa disparition par l’élargissement du Canal du Centre), continuent de livrer des résultats. En étudiant ces pièces, désormais conservées à l’Institut Royal des Sciences naturelles, des archéologues de l’ULiège ont découvert qu’Homo Sapiens maniait des armes à longue portée pour chasser son gibier il y a 31.000 ans. Soit 11.000 ans plus tôt que ce qui était établi jusqu’ici.

Une découverte rendue possible grâce à une nouvelle méthode expérimentale développée par Justin Coppe, post-doctorant FNRS au centre de recherche en préhistoire de l’ULiège (TraceoLab), et premier auteur de l’étude.

Justin Coppe avec un arc à flèche reproduit pour l’expérimentation © Camille Stassart

Sur les traces des armes du paléolithique

« Lors de ma thèse de doctorat, nous avons pu mettre au point une méthode permettant de déterminer quelles armes étaient utilisées par les occupants d’un site préhistorique en se basant sur les pointes en pierre qui armaient leurs projectiles », indique le Dr Coppe. Son doctorat a été financé dans le cadre d’une bourse du conseil européen de la recherche (ERC Starting Grant) obtenue par Veerle Rots, Directrice du TraceoLab.

Les chances de trouver des armes datant de cette période sont effectivement très rares. Fabriquées dans des matériaux organiques, comme du bois, la plupart ont fini en poussière au cours du temps. Ce que les archéologues retrouvent donc le plus souvent, ce sont les pointes en pierre taillées qui étaient placées au bout des équipements.

« Plus précisément, la méthode se base sur l’étude des traces laissées sur ces pointes. Ce sont souvent des fractures faites lorsque celles-ci frappent la cage thoracique de l’animal chassé. J’ai découvert que le paramètre qui influence le plus ces fractures était la forme des pointes. Le second facteur est la matière première utilisée pour la fabriquer. Puis, la façon dont elle est attachée au manche. Le paramètre le plus discret est finalement l’arme qui l’a tirée. Pour autant, chaque arme laisse des marques spécifiques sur sa pointe. Aussi, en reproduisant exactement ces projectiles, on peut savoir, par l’expérimentation, à quelle arme les pointes se rapportent ».

Cible en gélatine produite pour l’expérimentation © ULiège / TraceoLab
Christian Lepers se préparant à un tir au propulseur lors de l’expérimentation © ULiège / TraceoLab
Impact de tir dans la cible © ULiège / TraceoLab

La chasse aux rennes en laboratoire

Dans le cadre de son postdoctorat soutenu par le FNRS, le Dr Coppe a cherché à appliquer cette nouvelle méthode sur le site paléolithique de Maisières-Canal, où des ossements de renne et de cheval ont été retrouvés. L’idée était donc d’établir avec quelles armes Homo Sapiens chassaient ce gibier. Pour ce faire, le chercheur et ses collègues ont étudié une centaine de pointes de silex issues du site, dont 17 ont pu être identifiées comme ayant servi à la chasse il y a 31.000 ans.

« Dans un premier temps, on a étudié la manière dont ces projectiles avaient été fabriqués. En collaboration avec le Préhistomuseum et l’ASBL « les Chercheurs de la Wallonie », on a ensuite reproduit une centaine d’exemplaires, dans la même forme et dans un silex similaire ». Avec ces répliques, les chercheurs ont mené des essais avec quatre types d’armes connues au Paléolithique : les épieux, les javelots, les arcs à flèches, et les propulseurs.

Ces tirs ont été réalisés sur des cibles en forme de cerf, un animal proche morphologiquement des rennes préhistoriques. « Concrètement, on a reconstruit en position anatomique un squelette de cerf, qu’on a ensuite coulé dans une solution composée de gel balistique, d’eau, et… de quelques gouttes d’huile essentielle de cannelle. Cela permet au gel d’être très transparent, et donc de mieux voir, de l’extérieur, comment les pointes se sont comportées en traversant la « chair » de la proie. Afin que la cible soit la plus similaire possible à l’animal, on l’a aussi recouverte d’une peau de cerf. »

Pointe reproduite placée au bout d’un épieu pour l’expérimentation © Camille Stassart

Une utilisation des propulseurs plus ancienne qu’imaginé

En comparant les fractures laissées sur les pointes par les tirs d’essai à celles des silex déterrés sur le site, les chercheurs ont déterminé que les occupants de Maisières-Canal utilisaient des propulseurs dans leurs parties de chasse.

« Un propulseur est un bâton entre 60 et 110 centimètres, avec un crochet à son bout, sur lequel le chasseur plaçait une sagaie (une sorte de grande flèche), mesurant entre 1,6 m et 4,8 m, pour les plus grands exemplaires. Le bâton servait donc à allonger le bras du chasseur, ce qui lui permettait de propulser la sagaie à une vitesse comprise entre 70 et 90 km/h. Cette arme lui servait à chasser des gros gibiers, à une distance de 15 à 30 mètres.»

Une découverte importante, puisque les plus anciennes traces de propulseurs remontent à 20.000 ans avant notre ère. « Or, le site a été occupé 31.000 ans avant notre ère. Par notre étude, on a donc repoussé de 11.000 ans la date d’invention de cette arme.»

Dans les mois et années à venir, les chercheurs ont l’intention d’appliquer cette nouvelle méthode expérimentale à plusieurs autres sites du Paléolithique, situés dans le nord-ouest de l’Europe.

« L’intérêt est d’accéder aux techniques de chasse et de comprendre comment ces dernières ont évolué. Et ce, afin de mieux comprendre la dynamique sociale d’Homo Sapiens, puisque la chasse et la cueillette représentaient une grande partie de leur économie.»

Sagaies reproduites pour l’expérimentation © Camille Stassart
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