Barrage de Lixhe © Luminus

Le taux de survie des civelles et des saumoneaux de la Meuse s’améliore

25 septembre 2023
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Améliorer la survie des poissons migrateurs qui dévalent la Meuse et assurer la production d’électricité des barrages hydroélectriques ne sont pas des activités incompatibles. Les partenaires du programme Life4Fish viennent de le démontrer. L’anguille européenne et le saumon atlantique en sont les premiers bénéficiaires.

« Le taux de survie des civelles et des saumoneaux qui entament leur migration vers l’océan est tributaire des obstacles qu’ils rencontrent en chemin », rappelle l’ingénieur Pierre Theunissen, une des chevilles ouvrières du projet Life4fish. « Notamment les barrages sur le fleuve et les centrales hydro-électriques. » C’est précisément son entreprise (Luminus) qui est en charge de ces centrales de production électrique. Elle a été à la manœuvre de ce projet de recherche, cofinancé par l’Union européenne.

Les barrages de la Meuse, qui jalonnent le fleuve sur 83 km entre Namur et la frontière hollandaise, ont été les principaux sites de travail des partenaires du projet. Outre l’entreprise de production d’électricité, on retrouve dans ce consortium des chercheurs des universités de Namur et de Liège, le bureau d’études Profish et le département de R&D du groupe EDF.

Préparation de la barrière électrique du projet Life4Fish © Luminus

Réorienter les anguilles vers la sortie

Les civelles (jeunes anguilles) et les smolts (les saumoneaux qui entament leur migration) peuvent voir leur dévalaison entravée par les barrages, qui les empêchent de poursuivre leur voyage, ou par les turbines des centrales électriques.

Les ingénieurs hydrauliques ont testé différentes solutions pour proposer des voies de passage alternatives aux poissons. « Une voie de contournement (ou « exutoire de dévalaison »), mise en place pour les smolts de saumon sur le site de Grands-Malades, s’avère attirer plus de 50 % des saumoneaux et les fait passer en toute sécurité en aval », indiquent les partenaires du projet.

Encore faut-il que les poissons trouvent l’entrée de ces exutoires. Deux dispositifs en amont du barrage ont été testés: une barrière à bulles et une barrière électrique. La première n’a pas donné de résultats convaincants. Par contre, la seconde, qui agit comme une barrière répulsive et éloigne les poissons des entrées des turbines de la centrale électrique et du barrage pour les diriger vers l’exutoire, s’avère nettement plus efficace. « Mais uniquement pour les civelles », précise Pierre Theunissen. « Les smolts sont, quant à eux, perturbés, comme engourdis par cette technologique.» Les protagonistes du projet parlent de « narcose électrique ».

Capture de poissons dans la Meuse © ProFish Technology

Prédire les pics migratoires

Un modèle prédictif de migration a également été mis au point. De quoi permettre aux opérateurs d’ouvrir quelque peu une vanne du barrage pour offrir un passage direct aux poissons. Cette technique s’est avérée particulièrement utile pour la survie des saumoneaux.

« L’ouverture d’une vanne de barrage, lorsque la migration des saumons dans l’Ourthe et en Meuse est signalée par le modèle, appliquée aux sites de Monsin et de Lixhe, a considérablement amélioré le succès migratoire des saumoneaux », assurent les partenaires de Life4Fish.

Le même modèle permet aussi à Luminus d’interrompre pendant quelques heures le fonctionnement de ses turbines pour ne pas impacter les migrateurs. Les résultats sont encourageants : la mortalité des poissons durant ces périodes cruciales s’en est trouvée réduite. Le but du projet était de réduire de 10% l’impact des sites sur la mortalité des saumons. Au final, cette réduction de la mortalité s’est avérée être de 22,5%.

Barrière électrique © Luminus

Réduction limitée de la production électrique

Des arrêts de turbine de 24 heures étaient également prévus lorsque la migration de l’anguille argentée était annoncée par le modèle. La bonne précision de ce dernier a permis d’optimiser les pertes de production aux moments où les migrations des anguilles étaient les plus importantes. Sur deux sites (Namur et Ampsin-Neuville), l’arrêt des turbines est associé à une barrière électrique qui augmente encore le niveau de protection.

Globalement, la mise à l’arrêt des turbines, et donc de la production d’électricité verte, a été optimisée. « Nous comptions arrêter les turbines au cours de l’année pendant 900 heures », indique l’ingénieur. « Elles n’auront au final été mises en pause que durant 446 heures. »

Barrage de Lixhe © Luminus

Turbines à faible chute d’eau

Enfin, à Monsin, lors de la modernisation de l’usine hydroélectrique, les turbines de la centrale, âgées de plus d’un demi-siècle, ont été remplacées. De nouveaux moulins à trois pales et au design spécifique ont été mis en place afin d’assurer une meilleure survie aux migrateurs qui s’y retrouveraient happés.

Dans l’absolu, l’impact de ces turbines à faible chute d’eau (moins de dix mètres de dénivelé, à rotation lente (moins de 150 tours par minute), ont moins d’impact sur la mortalité des poissons que des turbines d’ouvrages plus imposants. Les premières mesures avec les nouveaux moulins montrent que l’impact sur les saumons est de moins de 2% en 48 heures d’observation, et de 7% en ce qui concerne les anguilles (sur une période de 72 heures).

Walloneel piste les anguilles jusqu’à la mer

Mais, au final, la question n’est-elle pas de savoir si les poissons migrateurs réussissent à gagner la mer? C’est ici qu’un projet complémentaire, baptisé Walloneel (« eel » veut dire anguille en anglais), porté par Profish, apporte un élément de réponse.

« Après deux périodes de migration des anguilles, en 2021 et 2022, nous constatons que les anguilles qui passent par la Wallonie arrivent bien dans l’estuaire », explique le biologiste marin Damien Sonny, de Profish. « Avec un taux de succès qui est d’autant plus grand que le nombre de barrages à passer est réduit. »

Ainsi, seuls 18 % des anguilles marquées à Hastière arrivent dans l’estuaire. Un chiffre qui passe à 40% pour les spécimens tagués à Andenne et à 62% pour ceux marqués à Lixhe. « Ce qui est assez logique », conclut, le biologiste. « Moins il y a d’entraves à la migration, plus grandes sont les chances de voir ces poissons réussir à gagner la mer. »

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