Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la vie végétale des mers et océans ne se résume pas aux algues. Les fonds marins sont aussi tapissés de prairies, également nommées herbiers, qui fleurissent et produisent des fruits au fil des saisons. En Méditerranée, on estime qu’un 1 à 2% de la superficie totale de la mer – soit 1.225.000 hectares – est recouvert de Posidonia oceanica, une espèce endémique protégée, connue aussi sous le nom d’« herbier de posidonies ».
Ces herbiers sont toutefois en déclin. La faute, essentiellement, aux bateaux de plaisance et à leur ancrage répété, qui creusent de longs sillons sur les fonds marins et arrachent au passage ces longues herbes marines. Depuis 2021, Arnaud Boulenger, aspirant FNRS au Laboratoire d’Océanographie biologique de l’Université de Liège, cherche à déterminer la meilleure méthode pour restaurer les zones détruites. Il mène différentes expériences à la station de recherches sous-marines et océanographiques basée dans la baie de Calvi, en Corse (France).
Un écosystème remarquable mis en péril
Etablis entre 0 et 40 mètres de profondeur le long du littoral, les herbiers de posidonies fournissent des services écosystémiques variés : filtration de l’eau, participation à l’oxygénation des zones côtières, stockage du CO2, protection de l’érosion des plages… C’est aussi un lieu de reproduction et d’alimentation pour de nombreuses espèces.
Au cours du 20e siècle, ce précieux écosystème a cependant connu une régression significative. Si les causes sont multiples (changement climatique, urbanisation côtière, pollution…), l’ancrage des yachts durant la période estivale constitue un véritable fléau.
Voici une vidéo réalisée par Andromède Océanologie pour l’Office de l’Environnement de la Corse exposant les dégâts provoqués par l’ancrage :
Depuis 5 ans, l’ancrage dans ces prairies sous-marines est interdit dans les eaux françaises de la Méditerranée. Pour autant, étant donné la faible croissance de la posidonie (1 à 6 centimètres/an), il est peu probable d’assister à une recolonisation naturelle des surfaces déjà perdues. De nombreux projets de restauration des herbiers ont ainsi vu le jour ces 10 dernières années.
Des structures sur mesure pour favoriser le retour des posidonies
Pour ce faire, les scientifiques conçoivent diverses structures, en différents matériaux, sur lesquelles sont transplantées des boutures de posidonies. Le tout est ensuite plongé dans les sillons causés par les ancres. « Si certaines expériences ont montré de bons résultats, les conditions environnementales peuvent changer d’un endroit à l’autre du bassin méditerranéen. Citons l’hydrodynamisme, plus important dans certaines zones, qui abîmera plus vite certaines structures. Il est donc peu plausible qu’une méthode unique fonctionne partout », fait savoir Arnaud Boulenger.
Dans le cadre de sa thèse, il réalise actuellement le suivi de 3 types de structures biodégradables installées dans la baie de l’Alga, en Corse. « Ces structures sont des surfaces d’accroche qui vont aider les boutures le temps qu’elles s’adaptent à leur nouvel environnement, produisent leurs propres racines, et s’ancrent naturellement », explique le chercheur.
« Chacune des structures testées présente une complexité croissante. La première est un assemblement d’agrafes métalliques. La deuxième structure est un tapis en fibre de noix de coco, présentant davantage d’interstices pour les racines. La troisième est composée de couches en 3D, formées à partir d’amidon de pomme de terre, qui présentent beaucoup interstices. »
Des premiers résultats prometteurs
Au total, 24 structures ont été plongées dans divers endroits de la baie de l’Alga. Au terme de 2 ans de suivi, les boutures présentent un taux de survie de 75%. « Cependant, on constate qu’elles ne sont pas totalement adaptées et qu’elles subissent encore le stress causé par la transplantation », indique le chercheur.
Estimant que 3 à 4 ans seront nécessaires avant que les boutures puissent atteindre un stade de stabilité, avec des caractéristiques morphologiques et physiologiques semblables aux herbiers de référence.
Concernant les méthodes, le doctorant n’a pas noté, pour le moment, de différences entre les 3 différents types de structures en termes de survie des boutures. « On observe néanmoins que celles accrochées sur les couches d’amidon de pomme de terre produisent plus de faisceaux foliaires que les deux autres. »
Une nouvelle expérience misant sur les gabions
Depuis fin juin 2024, une quatrième structure est testée dans le cadre d’un nouveau projet, soutenu par la Fondation de la MER et le FNRS. Cette fois-ci, Arnaud Boulenger et ses collègues ont utilisé des gabions, des cages en fil de fer tressé remplies de granites locaux. Les boutures de posidonies, attachées à un tapis en fibre de noix de coco, ont été posées par-dessus les pierres.
En tout, 90 gabions ont été immergés dans deux sites présentant un sillon d’ancrage. « Sur chacun, on a réalisé trois constructions de 15 gabions : 3 gabions avec boutures, entourés de 12 gabions « nus ». Ces derniers agiront comme des pansements sur le sillon et fourniront un coup de pouce à la colonisation d’autres boutures naturellement décrochées des herbiers, qui s’y coinceront avec le temps. »
Jusqu’en 2026, plusieurs campagnes de suivi seront réalisées. Selon les résultats obtenus sur les 4 structures testées, l’une ou l’autre méthode sera validée et appliquée à d’autres sites détruits dans cette zone de la Méditerranée.