Quenast, Lessines et Bierghes : à quelques dizaines de kilomètres de Bruxelles se tenait le plus grand centre mondial de production de pavés de porphyre. Aux XIX et XXe siècle, ces pavés s’en sont allés habiller des rues en Afrique du Sud, en Egypte ou encore en Australie. Ce fleuron belge méconnu, Dr Eric Goemaere, géologue à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique, souhaitait le sortir des arcanes de l’oubli. Pour ce faire, il a étudié des archives écrites, des cartes postales anciennes, des vidéos, des cartes topographiques, des photographies. Ses recherches, il les a compilées en un ouvrage richement illustré « Du porphyre et des Hommes au Pays des « Cayoteux » », publié par l’IRSNB et co-signé avec Marina Cabidoche, désormais géologue chez EuroGeoSurveys.
Des cheminées volcaniques près de Bruxelles
La roche, dont il est question, porte le nom vernaculaire de porphyre en raison de la présence de grands cristaux dans une pâte à grains très fins. Son origine est magmatique. Autrement dit, elle est issue du magma liquide présent dans les entrailles de la planète, lequel a été poussé vers la surface et s’est solidifié lors de son refroidissement.
C’était il y a bien longtemps. Durant une période dénommée Silurien, il y a 420 millions d’années, le territoire qui deviendra la Belgique était émergé dans l’hémisphère Sud. Avec les pays actuels de l’Europe centrale et une portion de la côte Est américaine, il était hébergé au sein de l’Avalonia, un petit continent allongé qui s’était détaché du supercontinent Gondwana. Lors de sa dérive, l’Avalonia est entré en collision avec un autre continent, provoquant une activité volcanique.
C’est ainsi qu’à Quenast, le cylindre de 2 kilomètres de large contenant des colonnes hexagonales de porphyre est en fait la cheminée solidifiée d’un volcan. « Mais attention, ce volcan n’a pas percé la croûte terrestre. En refroidissant, le magma s’est solidifié dans la cheminée volcanique. Dans les 3 sites belges majeurs d’exploitation de porphyre, ce type de formation est rencontré, ainsi qu’un autre : à une profondeur de un ou deux kilomètres, le magma s’est intercalé entre des roches qu’il a écartées, et y est passé de l’état liquide à l’état solide. Ensuite, l’érosion a ramené le tout – cheminée volcanique et couches épaisses – à la surface. Ce qui a permis l’exploitation du porphyre dès le XIXe siècle », explique Eric Goemaere.
Du moellon au pavé
« En plus d’être présente en volumes importants, cette roche est dotée de qualités exceptionnelles. Son extrême durabilité est surtout liée au fait qu’elle n’est pratiquement pas altérable et qu’elle résiste à une compression fantastique. Faible porosité et haute résistance aux chocs, à la compression, à l’usure et à l’attrition, au polissage, aux attaques chimiques minérales ou organiques et aux intempéries : on n’a quasiment pas d’équivalent. »
« La première utilisation de ce matériau, qui remonte au XIXe siècle, c’est un usage local sous forme de moellons, des pierres de construction. Ce moellon est si dur qu’il n’est pas facile à travailler. Il était donc relativement cher et on le réservait aux bâtiments religieux ou aux constructions de gens importants voulant marquer leur différence sociale », poursuit le géologue.
«Le porphyre était aussi excellent pour fabriquer des pavés quasiment inusables. Au 19e siècle, les pneus n’existaient pas. Les engins roulants étaient munis de roues de bois bardées de fer. De plus, le porphyre n’est pas glissant et peut donc être utilisé dans les rues en pentes. L’âge d’or des pavés commence en 1840. »
« La haute qualité de ces pavés parfaitement taillés en a fait un produit d’exportation dans toutes les grandes villes européennes, mais aussi en Amérique du Nord, en Australie, en Egypte et en Afrique du Sud. A cette époque, les bassins carriers de Quenast, Lessines et Bierghes sont une grande source d’emploi, on compte plus de 3200 ouvriers à Quenast et 5000 à Lessines ! En 1900, ces exploitations sont les plus grandes du monde pour la production de pavés. »
Et du pavé au granulat
Après avoir connu un âge d’or, et avoir été exportés et placés aux quatre coins du monde, notamment le long de la célèbre course cycliste Paris-Roubaix, les pavés de porphyre sont tombés en désuétude au milieu du siècle dernier. La raison ? L’avènement du béton.
Si jusqu’alors, seuls les déchets des pavés étaient utilisés comme granulats, ceux-ci sont et seront désormais le seul produit issu de la roche mère. On les retrouve comme constituants du revêtement des autoroutes à forte circulation et des pistes des très grands aéroports avec un trafic dense. Ces granulats de porphyre servent aussi de ballast aux lignes TGV, stabilisant les voies de chemin de fer.
Les carrières belges de porphyre sont toujours en activité, s’axant exclusivement sur les granulats. « Au rythme de l’exploitation actuelle, il y en a encore pour plusieurs siècles. » Si les pavés de porphyre ne sont plus du tout produits, des stocks existent toutefois encore, provenant du démantèlement des anciennes voiries. Ces pavés de porphyre de seconde main retrouvent un usage dans certains centres-villes. « Une seconde vie en quelque sorte, permettant à la mémoire de s’effacer moins rapidement », souligne Dr Eric Goemaere .