Cela ressemble à une boutade, à une critique. C’est plutôt un constat de réussite. L’avion à énergie solaire de Bertrand Piccard, le « Solar Impulse 2 », est bien destiné à survoler la planète dès la semaine prochaine, au départ d’Abou Dhabi, aux Emirats. Mais c’est surtout à ceux qui le regarderont passer qu’il apportera une vie meilleure.
Les innovations techniques et scientifiques nécessaires pour pouvoir entamer dans les jours qui viennent un voyage de cinq mois et de 35.000 kilomètres autour de la Terre sans consommer une seule goutte de pétrole se retrouvent déjà dans des applications au sol. Elles concernent des domaines qui touchent tous les habitants de cette planète: énergie, mobilité, environnement, confort et même santé.
« Le projet du Solar Impulse a été lancé il y a dix ans par le médecin psychiatre suisse Bertrand Piccard », rappelle l’ingénieur belge Claude Michel. Responsable chez Solvay du partenariat noué avec le Solar Impulse, il connaît l’avion solaire dans ses moindres détails. « C’est une formidable aventure technique, technologique, scientifique et humaine », souligne-t-il.
Effectivement, faire le tour du monde avec un avion fonctionnant à l’énergie solaire, volant jour et nuit, c’est du jamais vu.
Le groupe belge, premier sponsor du projet
En 2004, Solvay a été la première entreprise à apporter son soutien au projet, à hauteur de 10% de cette aventure de 140 millions de francs suisses (un peu moins de 140 millions d’euros actuels).
« Nous ne nous sommes pas lancés dans l’aventure tête baissée », précise Claude Michel. « Certes, la philosophie de ce projet rencontrait celle de notre entreprise : innovation sans limites et esprit d’entreprise. Mais nous ne voulions pas nous limiter à un simple apport de fonds. Notre partenariat a donc pris des allures de véritable… partenariat. Outre les moyens financiers, nous avons aussi apporté à l’équipe du Solar Impulse des solutions techniques et innovantes pour relever les multiples défis auxquels ils ont dû faire face”.
Une obsession: la chasse aux kilos superflus
C’est dans les laboratoires de Bruxelles, de France, d’Allemagne et même du Brésil de l’entreprise spécialisée en chimie que les solutions techniques ont été trouvées. A commencer par la chasse aux kilos superflus. Une obsession sur le Solar Impulse.
Dans un avion de ce type doté de moteurs électriques alimentés par des batteries rechargées par des panneaux solaires, les gains de masses se font sur les cellules solaires (il y en a plus de 17.000), sur les batteries, sur la structure de l’avion.
“Par tranche de huit kilos, il faut compter un mètre carré de panneaux solaires pour alimenter les moteurs de l’avion ou recharger ses batteries», explique Claude Michel. Sur le Solar Impulse 2, on dénombre quelque 17.000 cellules solaires. 300 mètres carrés de panneaux photovoltaïques. Au final, le « Si2 » affiche une masse de 2300 kilos, dont un quart environ (630 kilos) sont des batteries.
Des technologies performantes grâce au « Solvay inside »
« Les innovations sorties de nos laboratoires, entre le prototype (le Solar Impulse 1) et ce nouvel avion, ont été incrémentales », indique Pascal Juéry, Membre du Comité Exécutif de Solvay.
“Nous avons amélioré des technologies existantes, nous avons repoussé leurs limites. Un exemple, la densité énergétique des batteries, leur capacité à stocker de l’énergie dans une structure de même gabarit, a été améliorée de 50% entre les premières batteries capables de stocker 180 Wh par kilo de batterie à 260 Wh/kg».
Une précision toutefois: Solvay ne fabrique pas de batteries. Comme nombre d’autres technologies développées pour le Solar Impulse et qui ont aussi trouvé une application sur Terre, ce sont des matériaux, des innovations issues de la chimie qui sont ici pointées. Nous sommes les fournisseurs de matières premières innovantes. Nous irriguons l’industrie de ces nouveaux composés. Quand une batterie est plus performante, et cela sert aussi, par exemple à l’industrie automobile, c’est parce qu’il y a du « Solvay inside », précise Pascal Juéry.
Six domaines d’innovation
Les technologies apportées par Solvay ont concerné six domaines précis: l’isolation thermique du cockpit, la chaine électrique (cellules photovoltaïques et batteries), l’allègement de la structure de l’avion et de ses équipements, la lubrification des moteurs, des calculs et modélisations concernant le design général de l’avion mais aussi…la mise au point d’un tissu intelligent, destiné à augmenter les performances physiques du pilote.
Il s’agit d’un nouveau textile intelligent, dopé aux fibres de polyamide, explique Claude Michel. Ce textile absorbe la chaleur du corps et la restitue sous forme de rayonnement infrarouge long interagissant avec le corps. Portés comme sous-vêtement, stimulent la microcirculation sanguine et améliorent la performance musculaire. Pour les pilotes, c’est un véritable avantage. Les vols vont durer une vingtaine d’heures environ, sauf les deux traversées océaniques (Pacifique et océan Atlantique). Ce textile va permettre de limiter leur fatigue, et de maintenir leur température corporelle à des niveaux de confort supportables.
Les prévisionnistes de l’IRM aux commandes
Le décollage de cette aventure humaine autant que technico-éducative (aux énergies renouvelables) est prévu début mars, en fonction des conditions météorologiques. André Borschberg et Bertrand Piccard sont les deux pilotes du Solar Impulse 2. Mais ce sont les deux météorologues belges, David Dehenauw et Luc Trullemans, de l’Institut Royal de Météorologie, qui ont déjà assuré le suivi météo des précédents vols du Si1 en Europe et le tour du monde en ballon et sans escale bouclé par Piccard en 1999, qui donneront le signal de départ!
L’avion, aussi grand qu’un Airbus A 380 pour une masse de 2,3 tonnes ne peut voler (à 75 km/h de moyenne) que dans des conditions météo optimales, tant en ce qui concerne l’ensoleillement, que les vents. Au départ d’Abou Dhabi, l’avion volera vers l’Est. Il fera notamment escale en Inde, en Chine, à Hawaii, aux Etats-Unis avant de continuer vers l’Europe ou l’Afrique du Nord.
Le périple solaire pourra être suivi en direct via le centre de contrôle de la mission installé à Monaco. Pour les curieux, c’est par contre un voyage à Paris qui s’impose. Après quasi 500 heures de vol, le premier Solar Impulse, qui a terminé sa carrière d’avion solaire, sera visible dès le mois d’avril à Paris. Le prototype, dépourvu de ses batteries, a été acquis par le groupe Solvay et sera exposé à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette pendant deux ans au moins. Il fallait un lieu public capable d’accueillir dans ses murs un oiseau de 63 mètres d’envergure…
Une dynastie de savanturiers
L’avion solaire (« Solar Impulse ») est le fruit d’un rêve porté par le « savanturier » Bertrand Piccard.
Petit-fils d’Auguste Piccard, qui fut le premier à tâter de la stratosphère à bord de son ballon FNRS 1 alors qu’il travaillait à l’ULB, en 1931 ; fils de Jacques Piccard, le premier homme à être descendu au plus profond des océans (-11.000 mètres dans la Fosse des Mariannes) à bord de son bathyscaphe ; Bertrand Piccard a déjà plusieurs exploits à son actif. Dont le premier tour du monde en ballon sans escale. C’était en 1999.