Dans la lutte contre le coronavirus, les antiviraux restent indispensables

26 février 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Le développement d’antiviraux, est-il aujourd’hui compromis par l’arrivée des vaccins contre le SARS-CoV-2? « Pas du tout », répond David Alsteens, chercheur qualifié FNRS et responsable du laboratoire nanobiophysics à l’UCLouvain. « Ce sont deux moyens de lutte différents, qui ont chacun leur utilité. »

Plusieurs molécules antivirales sont étudiées dans son laboratoire. Des tests rendus possibles grâce à des mois de recherche, au cours desquels le Pr. Alsteens et son équipe ont exploré les différentes voies d’entrées du virus dans nos cellules.

Vaccins et antiviraux se complètent

Contrairement aux vaccins, dont le rôle est de prévenir l’apparition d’une maladie virale, les antiviraux visent à traiter les patients déjà infectés. Ces thérapies permettent d’atténuer les symptômes, de prévenir certaines complications, et de raccourcir la durée de la maladie.

Ils représentent une alternative pour les personnes chez qui la vaccination est contre-indiquée pour des raisons médicales, ou bien refusée pour des raisons personnelles. Les antiviraux peuvent aussi servir aux patients vaccinés qui ne développent pas d’immunité (cela arrive). Ou si celle-ci ne dure pas dans le temps. « De fait, on ignore combien de temps les vaccins contre le SARS-CoV-2 protègent les personnes vaccinées. Dans l’hypothèse qu’à un moment donné, la population ne serait plus immunisée, disposer d’un antiviral s’avérerait utile », signale le Pr. Alsteens.

Ajoutons qu’il est possible que la stratégie de lutte contre le SARS-CoV-2 évolue à l’avenir en faveur de ces remèdes. « On peut imaginer, comme pour la grippe, qu’on vaccinera d’ici quelques années uniquement les personnes à risque, quand les antiviraux seront employés pour le reste de la population en cas de symptômes lourds », indique encore le chercheur.

Mécanise d’attachement du virus SARS-CoV-2 à la cellule-hôte© David Alsteens

Une arme qui repose sur la connaissance

Pour l’heure, il n’existe aucun antiviral efficace contre le SARS-CoV-2, même si de nombreux essais sont en cours. La principale raison étant que sa fabrication exige une compréhension fine des mécanismes d’action du virus. Et cela demande du temps.

« Pour les vaccins, il a été possible d’en élaborer assez rapidement, car ce type de thérapie agit en se basant sur le système immunitaire de l’individu. Il n’est alors pas nécessaire de connaître en détail la manière dont le virus opère. Les antiviraux, eux, agissent seuls, en ciblant directement le virus. Pour développer ces médicaments, il est essentiel de comprendre parfaitement les mécanismes d’action du SARS-CoV-2 », explique le virologue.

Microscope à force atomique © David Alsteens

À la pêche aux interactions virus-cellules

Nous savons aujourd’hui que le SARS-CoV-2 possède à sa surface des protéines : les protéines spike, ou S. Ce sont elles qui vont s’accrocher aux cellules de l’hôte et exploiter à leur surface des récepteurs particuliers, comme les récepteurs ACE2. En les activant, le virus va « tromper » la cellule et l’inciter à le faire entrer en son sein. Une fois à l’intérieur, il s’y multipliera, et de nouveaux virions iront infecter d’autres cellules.

« La façon dont les protéines S se lient aux récepteurs ACE2 demeure peu comprise. Pour mieux l’appréhender, on a réalisé plusieurs expériences avec différents fragments de la protéine S », expose le Pr. Alsteens.

Pour ce faire, les chercheurs ont employé un microscope à force atomique. Un instrument peu répandu, qui peut s’apparenter à une sorte de canne à pêche : « la protéine S y fait office d’hameçon. L’expérience consiste à déposer cette protéine soit sur des récepteurs isolés, soit sur des cellules complètes. En remontant la ligne, on peut déterminer à quels récepteurs la protéine s’est accrochée, avec quelle force, et à quelle vitesse les liaisons s’opèrent », énumère le scientifique.

La médecine chinoise comme planche de salut ?

L’équipe a cherché à savoir si l’extrémité de la protéine S, où se trouve un récepteur nommé RBD, était impliqué, ou non, dans l’adhésion à la cellule-hôte. Et si d’autres parties, en aval de la RBD, influençaient cette adhésion. « Nos expériences ont finalement pu démontrer que le RBD joue bel et bien un rôle prédominant dans l’interaction avec le récepteur ACE2 », indique le Pr. Alsteens.

Depuis la publication de leurs résultats, le laboratoire travaille sur le développement de molécules qui pourraient inhiber ce lien. Les chercheurs collaborent avec l’entreprise wallonne Botalys, spécialisée dans la culture de plantes médicinales.

Parmi elles, on trouve la Dan Shen, une racine employée en médecine traditionnelle asiatique pour lutter contre les infections virales respiratoires. « Notre rôle dans ce projet consiste à tester les molécules naturelles issues de cette plante, et ainsi déterminer si elles sont capables de perturber l’interaction entre le virus et la cellule-hôte. Au-delà d’un antiviral, ces molécules pourraient être employées comme complément alimentaire afin de booster la réponse immunitaire, et ainsi limiter le risque d’infection chez l’individu », précise le virologue.

Un virus encore mystérieux

En parallèle, le laboratoire entend poursuivre ses recherches sur les mécanismes d’entrée du SARS-CoV-2. « Lors de nos expériences, on a constaté qu’en bloquant le récepteur ACE2 sur les cellules-hôtes, seul un tiers de ses interactions avec le virus était évité. Ce qui signifie que ce récepteur n’est pas le seul auquel peut se lier la protéine S, et donc qu’il existe d’autres moyens pour le virus d’infiltrer la cellule. »

Déterminer ces nouvelles portes d’entrée est aujourd’hui l’objectif des chercheurs. « Cette découverte montre à quel point ce virus, et ses premières étapes d’attachement avec la cellule, sont très complexes. Clairement, nous sommes loin d’avoir percé tous ses mystères », conclut David Alsteens.

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