Les vidéos 360° au service de la santé mentale

26 février 2024
par Martine Versonne
Temps de lecture : 5 minutes

Peut-on utiliser la vidéo immersive à 360° comme outil d’évaluation diagnostique en santé mentale et de formation des futurs professionnels de la santé ? C’est ce que s’emploient à démontrer des chercheuses de la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Education de l’Université de Liège. Elles ont créé un environnement spécifique, appelé Darius. Et testent son utilisation potentielle chez de personnes souffrant d’anxiété sociale ou de dépression ou encore chez des consommateurs d’alcool ou de tabac.

La réalité virtuelle (RV) fait déjà partie des outils de la Clinique Psychologique et Logopédique Universitaire de la faculté liégeoise notamment pour la prise en charge des troubles anxieux.

Aurélie Wagener, psychologue clinicienne et première assistante en Faculté de Psychologie, l’utilise dans ses consultations : « La création d’environnements virtuels en 3D – dont le graphisme ressemble à celui des jeux vidéo – est assez coûteuse en temps et en moyens financiers. Raison pour laquelle le développement d’environnements immersifs en vidéo 360° est intéressant : ils ont l’avantage d’être beaucoup moins chers et de demander moins de temps de création ».

Seul au milieu du café

Pour créer Darius, Aurélie Wagener et ses collègues ont privatisé un café et établi un scénario où des clients devaient faire une série d’actions. Celles-ci étaient susceptibles de déclencher différents symptômes. Comme la peur d’une évaluation négative, des pensées paranoïaques, des pensées automatiques négatives, l’envie d’alcool et de nicotine.

« On a posé une caméra 360° sur une table et filmé les personnes qui papotaient, se déplaçaient, buvaient… tout autour. En une demi-heure, on a enregistré le contenu pour notre environnement. Notre produit a été finalisé beaucoup plus vite qu’un environnement immersif en 3D. ».

« Jusqu’à présent, on créait un environnement par trouble. La tendance s’inverse, aussi bien en 3D qu’en 360°, pour aller vers quelque chose de plus transdiagnostique, utilisable dans différentes pathologies. Ce qui reflète beaucoup plus notre réalité clinique.»

Milieu du projet Darius © Aurélie Wagener

Combattre l’anxiété

En réalité virtuelle, la personne porte un casque pour voir et entendre ce qui se passe dans le café comme si elle y était.

« L’idée, en clinique, c’est d’utiliser cet environnement comme un exercice d’exposition. Imaginons une personne qui souffre d’anxiété sociale et qui a beaucoup de difficultés dans les lieux publics. On pourrait utiliser l’environnement Darius pour voir si elle réagit quand elle est exposée à des indices d’anxiété sociale. Et ensuite, pour travailler ces symptômes dans le cadre d’une prise en charge par un psychologue. Le patient pourrait faire des exercices de relaxation appris au préalable, tout en portant le casque pour être immergé dans le café », explique la psychologue.

L’équipe liégeoise a pu mettre en évidence le côté transdiagnostique de cet environnement à 360°. Les étapes futures consisteront à évaluer son intérêt pour le diagnostic et la prise en charge.

« Avec des collègues en sciences de la motricité, on est en train de développer un projet similaire pour travailler l’anxiété précompétitive chez les sportifs. On mettra une caméra à 360° dans une piscine, sur une piste d’athlétisme… et ensuite, immergera des sportifs dans ces environnements via un casque pour leur apprendre à gérer leur anxiété. L’hypothèse étant que cela leur permettra d’appliquer, quand ils seront en situation réelle, les stratégies de régulation émotionnelle apprises en virtuel. »

Former les futurs professionnels

De son côté, la Pre Sylvie Willems (neuropsychologie clinique de l’adulte, ULiège) s’intéresse à la formation des futurs soignants au sein du département de psychologie. L’une de ses doctorantes, Manon Goosse, a étudié comment intégrer les vidéos immersives 360° dans la formation des psychologues pour illustrer soit des situations cliniques, soit des symptômes cliniques.

« On sait que les personnes souffrant de psychoses sont stigmatisées, notamment par les professionnels de la santé. Les conséquences sont dramatiques dans les soins, avec un changement de comportement du soignant qui peut être plus autoritaire, moins collaboratif… Une personne en souffrance qui se retrouve face à ce type de clinicien peut faire ce qu’on appelle de l’intériorisation de stéréotype et devenir plus passive dans ses soins », explique-t-elle.

Comment déconstruire ces stéréotypes ? « Nous avons testé l’environnement Darius simulant des hallucinations auditives chez des étudiants. Chacun devait porter le casque et s’imaginer tout seul dans le café en train de planifier des courses pour préparer un repas d’anniversaire. »

Après avoir été plongés dans cet environnement, les étudiants avaient des scores d’empathie plus importants et, paradoxalement, davantage de stéréotypes envers les personnes souffrant de psychoses. Par exemple, toujours les croire dangereux ou violents. Une des explications avancées par Sylvie Willems est le fait que l’immersion était relativement courte.

« Les étudiants réalisent mieux ce que vivent ces patients, mais il faut encore qu’ils comprennent comment les patients arrivent à s’adapter par rapport à ces difficultés. »

Lunettes de réalité virtuelle – libre de droit

Au cœur de la communication patient-soignant

Plusieurs projets de recherche sont en cours. Par exemple, avec un autre environnement illustrant des moments de rencontre entre un clinicien et un patient pour montrer comment le professionnel travaille et améliorer des compétences chez l’étudiant après avoir été immergé.

L’équipe de Sylvie Willems participe aussi au projet européen SimuCare-Immersion, piloté par HELMO (Haute École Libre Mosane) et co-financé par l’Union européenne, qui va mettre en place une plateforme numérique permettant l’apprentissage des compétences communicationnelles en pédiatrie avec l’outil de la vidéo 360°.

L‘immersion 360° se révèle donc être, non seulement, très accessible, mais aussi assez ludique tant pour les patients, que pour les étudiants, les enseignants et les praticiens.

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