Alors même qu’il représente le 2e élément chimique le plus abondant de la croûte terrestre, après l’oxygène, nous ignorons encore beaucoup de choses sur le silicium et sa relation avec les végétaux. Dans une étude internationale menée par Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), avec le soutien du FNRS, des chercheurs viennent de découvrir que cet élément semble bénéfique aux plantes poussant dans des écosystèmes extrêmes.
Quand la Terre recycle ses éléments
« Cette étude s’est intéressée au cycle biogéochimique du silicium, et à l’impact des plantes sur ce dernier », résume Felix de Tombeur, doctorant au centre de recherche TERRA, et premier auteur de l’article.
Les cycles biogéochimiques désignent les processus cycliques de transport et de transformation des éléments essentiels à la vie, apparus il y a plusieurs millions d’années. Le silicium se trouve directement sous nos pieds, dans les sols, ainsi que dans la lithosphère, à plusieurs kilomètres de profondeur. Il quitte ce réservoir naturel pour en rejoindre d’autres via différents processus d’altération et de transport.
« Par l’action de la pluie et de la végétation, les roches se transforment au fur et à mesure en sol », explique le chercheur. « Les minéraux et les éléments contenus dans cette roche, dont le silicium, vont petit à petit se dissoudre et passer en solution. Celle-ci sera soit absorbée par la plante, soit lessivée des sols (par les précipitations, ou érodée par le vent, NDLR), jusqu’à rejoindre les océans. Là-bas, le silicium se retransformera en roche et retournera à son point de départ : la croûte terrestre. »
Un cycle terrestre encore mal compris
Notons que le silicium ne serait nécessaire qu’à un seul et unique organisme : les diatomées, qui forment l’essentiel du phytoplancton marin. Les plantes et les animaux pourraient, a priori, s’en passer. Cet élément est dès lors considéré par la communauté scientifique comme non-essentiel au vivant. « C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent que la recherche ait mis du temps pour l’étudier au sein des plantes, comparé aux autres nutriments », note le doctorant.
Aujourd’hui, nous comprenons un peu mieux sa dynamique avec les végétaux. Ces derniers, en absorbant le silicium dans la solution du sol, le retransforme en minéral. On appelle cela des phytolithes, du grec ‘roches de plantes’. Quand la plante meurt, le silicium retourne à la terre sous forme de minéral, puis se retransforme en solution, pour être à nouveau absorbé par une autre plante, et ainsi de suite. « Mais nous ignorions l’importance de ces mécanismes biologiques sur le cycle terrestre du silicium. Le déterminer était l’objectif de notre étude », indique Félix de Tombeur.
Les plantes prennent la main dans les sols anciens
Les scientifiques ont fait l’hypothèse que plus les sols sont anciens, et donc de moins en moins fertiles, plus les plantes contrôlent le cycle terrestre du silicium. Cet élément serait recyclé différemment selon les propriétés du milieu. Pour tester cette idée, l’équipe s’est rendue sur la côte ouest de l’Australie. Une région aride, qui a la particularité de présenter une biodiversité exceptionnelle.
« Nous y avons récolté les dix espèces végétales les plus abondantes dans le milieu, et prélevé des sols d’âges différents sur deux sites en particulier : Jurien Bay et Guilderton.»
« Plus on s’approche de la mer, plus le sol est jeune et fertile (100 à 500 ans). À l’opposé, plus on s’en éloigne, plus le sol est vieux (jusqu’à 2 millions d’années) et pauvre en éléments nutritifs. On a pu, de cette manière, analyser le facteur temps sur le cycle du silicium », précise le scientifique.
Après différentes analyses, les chercheurs ont confirmé leur hypothèse : le cycle terrestre du silicium, au sein des sols les plus âgés, est induit par des processus biologiques. Ce sont donc bel et bien les végétaux qui soutiennent ce cycle dans les sols altérés.
Le silicium, élément nécessaire en milieu extrême
Plus étonnement, l’étude a aussi révélé que les plantes accumulaient de plus en plus de silicium avec le vieillissement des sols, tandis que tous les autres nutriments diminuaient.
« Nous savions déjà que l’ensemble des éléments nécessaires à la plante baisse continuellement avec l’âge du sol. En conséquence, la teneur en nutriments des plantes qui poussent sur ces sols décroît également. Or, nous avons découvert que la tendance du silicium est exactement opposée à celle des autres nutriments. »
« Une explication est que les plantes exposées à des conditions d’infertilité extrême du sol ont dû s’adapter pour s’y développer. Stocker de grandes quantités de silicium pourrait les aider à mieux résister au stress nutritionnel, mais aussi à lutter contre les herbivores. Et ce, car le silicium concentré dans les tissus rendra leurs feuilles et leurs tiges moins digestes pour les prédateurs. Il reste, en effet, important pour ces espèces adaptées à des écosystèmes très pauvres d’éviter de perdre des tissus, et donc des nutriments, par l’action des herbivores », développe Félix de Tombeur.
Pour l’équipe, ces résultats amènent à mieux considérer l’intérêt du silicium pour le vivant, et ouvrent de nombreuses pistes en écologie végétale. « Nos conclusions tendent à penser que le silicium est plus important qu’il n’y parait. On ne peut plus négliger son utilité pour les végétaux issus de certains milieux », conclut le chercheur.