Thierry Amougou pense, analyse, décrit les sociétés néolibéralisées

26 mai 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène », par Thierry Amougou. Editions Academia. VP 29 euros, VN 22,99 euros

Selon l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti, son collègue Thierry Amougou, professeur d’économie et de sciences sociales à l’UCLouvain, a prétexté le confinement et la pandémie de covid-19 pour «penser, analyser, décrire les sociétés néolibéralisées. À partir d’un double regard. Depuis la Belgique et l’Europe, depuis le Cameroun et l’Afrique».

Aux éditions Academia, le Pr Amougou interroge et nous interroge dans le «Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène». Terme désignant l’époque où les humains ont commencé à provoquer des changements biogéophysiques à l’échelle planétaire.

Des paysans sans terre

«En économie, la santé, l’éducation, la terre, l’eau et l’environnement ne sont plus considérés comme des biens publics, mais comme des biens privés avec des marchés particuliers fonctionnant suivant la loi de l’offre et de la demande», relève Thierry Amougou. «Il n’y a pourtant rien d’aussi insécurisant que cette dynamique dans la mesure où le néolibéralisme produit des paysans sans terre.»

Cet accaparement des terres est dénoncé comme une forme nouvelle d’agrocolonialisme… «Il met l’agriculture entre les mains des multinationales. Insécurise les peuples indigènes au profit de l’agro-industrie et du tourisme de luxe. Accroît l’occurrence des crises financières et soumet de nombreux États à des politiques d’austérité qui considèrent les souffrances sociales qui en découlent comme des variables muettes.»

Sortir de la prison du marché

«Une telle évolution insécurisante, notamment pour les pauvres et finalement l’humanité tout entière, doit être arrêtée», souligne le conférencier au Collège Belgique. «Le monde ne peut y parvenir, selon moi, qu’en adoptant de grandes mesures dotées d’une valeur juridique contraignante. Déclarer la santé humaine et environnementale domaines inaliénables ou non-appropriables par les marchés et les intérêts privés, peut, à mon sens, replacer la santé humaine et environnementale en dehors de l’appétit glouton des marchés. De la puissance corruptrice de l’argent, des multinationales et des intérêts individualistes.»

«Cette façon de sortir la société pandémique moderne de la prison du marché lui permettra de se soigner et de préserver l’environnement sans être mise au pas par les forces mondiales de l’accumulation et du grand capital.»

Pour le macroéconomiste Thierry Amougou, une telle transformation est réalisable. Si l’on redonne une capacité de recherche et d’action aux États dans le domaine de la recherche scientifique sur la santé. Et la lutte contre le réchauffement climatique.

L’Afrique après le confinement

Le spécialiste d’économie politique et d’économie du développement juge que le confinement est une occasion pour repenser le développement en général. Et celui de l’Afrique en particulier. Au moins pour trois raisons.

Premièrement, l’Afrique est un laboratoire grandeur nature pour éprouver la résistance du monde mis en place par le Consensus de Washington. Visant à conditionner les aides financières aux pays en développement à des pratiques définies par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM).

Deuxièmement, les gestes barrières font du confinement une politique de normativisation des mœurs. «Le néolibéralisme a agi de même depuis 1980 sur les mœurs africaines», observe Thierry Amougou. «Privatiser les terres. Mettre l’État de côté. Donner une place centrale au marché. Libéraliser les systèmes financiers. S’ouvrir au libre-échange et casser l’autonomie des paysanneries sont devenues les nouvelles normes pour combattre le sous-développement comme menace sociétale.»

Troisièmement. «La menace létale qu’est le covid-19 fait du confinement une technologie politique de gestion des distances et donc de l’espace entre les individus. Puis entre les individus et les choses.»

Il est important, pour le Pr Amougou, de souligner que le covid-19 révèle une Afrique dans une situation de double confinement.

«D’une part, celui qui s’observe du haut des miradors programmateurs idéologiques du néolibéralisme depuis 1980. Et, d’autre part, celui relatif à la lutte contre le covid-19. Les pauvres qui paient aujourd’hui le confinement au prix fort sont ainsi le révélateur du visage quotidien d’une Afrique synonyme de rationnement. De souffrance et de sacrifice depuis la révolution conservatrice. Dès lors, développer l’Afrique après le confinement ne peut plus équivaloir à la corseter dans un paradigme qui se présenterait comme seule alternative possible. Mais à la déconfiner de la maison néolibérale afin que son potentiel puisse se déployer sans entraves paradigmatiques et idéologiques.»

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