« Gladiator », « Iron Man », « Mensonges d’État » : ces blockbusters ont en commun un scénario dans lequel apparaît le monde arabe, soit à un moment spécifique de l’intrigue (un lieu, un personnage, une référence culturelle), soit tout au long de l’histoire. Dans ces scènes, au-delà de l’image, la musique joue souvent un rôle essentiel pour évoquer à l’esprit du spectateur cette région du monde.
Comment, musicalement, les compositeurs hollywoodiens la représentent-ils ? Dans quels objectifs ? Et avec quel impact sur la vision des spectateurs du monde arabe et de sa musique ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre le projet de recherche d’Adrien Malemprez, doctorant en musicologie à l’unité de recherches « Transitions » de l’ULiège.
Focus sur neuf B.O. du studio de Hans Zimmer
Notons d’emblée que le « monde arabe » dont il est question dans cette thèse est « davantage une construction occidentale qu’une réalité géographique, ethnique et culturelle », précise Adrien Malemprez. « Je relie cela à la notion de “Grand Moyen-Orient” utilisée par le président George W. Bush et son administration pour désigner un espace incluant plus de 27 pays, s’étendant du Maghreb, de la Mauritanie au Pakistan et à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et l’ensemble de la péninsule Arabique et le golfe Persique. »
Sa thèse, soutenue par le FNRS, fait suite à son mémoire de fin d’études qui portait déjà sur la représentation musicale du monde arabe à travers les bandes originales (B.O.) hollywoodiennes des films « Aladdin », « La Momie », « Gladiator », et « Hidalgo ». Cette fois-ci, le chercheur s’intéressera aux B.O. de 9 films (voir illustration) produites entre 1999 et 2010 par les compositeurs du studio américain Remote Control Production. Un studio fondé par Hans Zimmer, l’un des compositeurs de musique de film parmi les plus actifs.
Analyse des choix compositionnels d’Hollywood
Deux sortes d’analyses seront réalisées sur ces B.O. : « La première sera une analyse purement musicale : quels sont les instruments utilisés ? Quelles sont les mélodies ? Les intervalles ? Les rythmes ?… » Quand la seconde visera à analyser la musique en situation audiovisuelle. L’intérêt sera de déterminer « quand la musique arabe apparaît dans le film, dans quels buts, s’il existe des thèmes arabes associés à des lieux/personnage/objets, quelles émotions sont suscitées, etc. »
Pour ce faire, le chercheur se basera sur les recherches réalisées en musicologique filmique, mais aussi en musicologie orientaliste, qui étudie la représentation du monde arabe dans les œuvres orientalistes, un mouvement artistique du 19e siècle. « A cette époque, les compositeurs ont eu l’occasion de voyager et de retransmettre les sonorités du monde arabe à leur public européen. Ainsi est apparu tout un système de représentation.»
Ces travaux, de même que ceux effectués en histoire et théorie musicales arabes et en sémiologie de la musique (discipline qui étudie les signes et les symboles utilisés en musique), permettront de savoir pourquoi les compositeurs élaborent la musique arabe d’une telle façon. En parallèle, Adrien Malemprez espère mener des entretiens avec des compositeurs qui ont travaillé sur les B.O. étudiées.
Le monde arabe, un univers dangereux et mystérieux ?
Le musicologue émet l’hypothèse qu’Hollywood offre une représentation stéréotypée de la musique arabe dans ses films. Ce qui aurait pour effet pour le spectateur d’avoir une vision limitée, si pas erronée, de celle-ci. Dans le cadre de son mémoire, Adrien Malemprez a déjà pu noter qu’un instrument apparaît souvent dans les B.O. de films : le duduk. « Le son de ce hautbois est vraiment devenu le son typique pour représenter musicalement le monde arabe. Pourtant, cet instrument n’est pas du tout arabe, mais arménien. »
Cette représentation musicale peut s’avérer péjorative : « on remarque que les musiques arabes apparaissent souvent dans des scènes de tensions, d’actions, de combats, ou encore de mystères.»
Prenons deux exemples. Dans « Aladdin », Jafar, le vilain de l’histoire, est le seul protagoniste à avoir un thème mélodique arabisant. Mais aussi, dans cette scène de « Gladiator », Maximus est emmené par des marchands d’esclaves en Maurétanie césarienne (actuelle Algérie et Maroc), où il est vendu à un riche propriétaire et négociant local en tant que gladiateur.
« L’idée d’une musique de film stéréotypée et d’une représentation d’un monde arabe dangereux et mystérieux n’est toutefois encore qu’une hypothèse », insiste le doctorant. « Et s’il est clair qu’une représentation négative et l’usage de stéréotypes peuvent entraîner des conséquences néfastes, mon intention n’est pas de jeter la pierre à des compositeurs, des réalisateurs ou des spectateurs. Mon objectif est surtout de permettre une prise de conscience à différents niveaux.»
Dépasser les clichés par l’apprentissage
A côté de ces analyses, le chercheur a l’intention de créer des ateliers de découverte et d’étude des musiques et des instruments traditionnels du monde arabe, en collaboration avec le Musée des Instruments de Musique de Bruxelles et les écoles supérieures de musique de la FWB. « Ils aborderaient en profondeur et de manière didactique chaque aspect de la culture musicale arabe : le système musical, l’histoire des diverses traditions musicales, l’organologie, etc. »
Il est aussi envisagé d’inviter les étudiants qui souhaitent devenir compositeurs à participer à ces ateliers. Ils auraient pour exercice de « représenter musicalement le monde arabe dans la composition d’une B.O. pour un ou plusieurs extraits de films existants ou réalisés par une école de cinéma belge ». L’idée étant de voir si cet atelier leur permettrait de dépasser les clichés sur le monde arabe et sa musique.