L’intelligence artificielle, une aide pour l’agriculteur ?

26 décembre 2023
par Joffrey Onckelinx
Durée de lecture : 4 min

Dans les champs comme dans les prairies de Wallonie, l’intelligence artificielle (IA) creuse son sillon. Elle transforme les données agricoles en outils. Tantôt prédictifs, tantôt scrutateurs, ils peuvent ainsi épauler l’agriculteur.

Elevage et grandes cultures

Un exemple? Léonard Théron, directeur de la technologie chez RumExperts, une entreprise spécialisée dans la récolte et l’utilisation des données d’élevage, et son équipe, ont mis en place un système basé sur trois fonctions d’intelligence artificielle permettant de prédire l’évolution de la composition du lait une dizaine de jours à l’avance. Et ce, avec une précision d’environ 88%. Grâce à cela, l’éleveur peut non seulement anticiper la valeur économique de sa production, mais aussi prévenir certains problèmes de santé chez ses animaux et réagir en conséquence.

Dans le domaine de l’agriculture végétale, une autre application concerne la reconnaissance des maladies de certaines céréales. Le projet PHENWHEAT, développé par Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), en collaboration avec le CRA-W et l’Université de Mons, utilise l’imagerie hyperspectrale pour créer un modèle capable de reconnaître la fusariose (une maladie fongique) sur les épis de blé.

« Les chercheurs ont d’abord étiqueté des exemples de blé sain et de blé malade afin d’entraîner le modèle d’IA. Ce modèle a, ensuite, appris au gré de ses essais et erreurs afin de pouvoir être opérationnel », explique Alban Jago, spécialiste en géomatique au sein du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W).

Un appétit sans fin pour les données

D’autres applications basées sur ces techniques d’IA permettent aux agriculteurs de gagner du temps, mais aussi de réduire l’impact écologique de certaines cultures. Par exemple, en utilisant des caméras pour traquer les mauvaises herbes ou pour surveiller un troupeau.

Pour fonctionner, l’intelligence artificielle se nourrit d’une grande quantité de données. Celles-ci lui serviront de base pour apprendre et développer des modèles généralisables. Or, l’agriculture en produit justement des quantités phénoménales, que ce soit via les différents capteurs et caméras présents dans les champs et sur les machines agricoles, ou via les satellites. « L’émergence de l’IA en agriculture peut s’expliquer de deux manières. D’une part, la multiplication des données et d’autre part, l’accroissement de la puissance de calcul des ordinateurs », indique Léonard Théron.

L’épineuse question de la protection des données 

Si ces données sont la base de tous les outils d’intelligence artificielle, « la question de leur propriété fait débat » intervient Alban Jago. « Appartiennent-elles à l’agriculteur ou au fabricant de la machine qui les génère ?»

Pour Léonard Théron, « la donnée agricole s’apparente à une donnée personnelle dans le sens où elle révèle quelque chose sur l’agriculteur et devrait donc être maîtrisée par ce dernier ». Le vétérinaire ajoute que l’agriculteur devrait également avoir le contrôle sur la valorisation de ces données, tout en étant protégé contre les informations qu’elles révèlent sur son activité et qui, mal interprétées, pourraient lui nuire.

Le risque d’une spéculation encore plus agressive

« L’enjeu du contrôle des données ne s’arrête pas là », souligne Sébastien Weykmans, administrateur délégué de l’ASBL WalDigiFarm. Cette association veut favoriser l’utilisation du numérique dans le secteur agricole en Wallonie.

L’ingénieur agronome utilise l’exemple de la valorisation des cultures sur le marché agricole mondial pour illustrer un des risques du manque de contrôle des données agricoles.

« La manière dont va évoluer le prix des céréales en Belgique (…), va dépendre typiquement de la qualité et de la quantité de récoltes dans d’autres pays ». Or, si la spéculation a toujours existé, il est possible, lorsque l’on a accès aux données agricoles, « d’avoir une espèce d’image de la production à l’échelle d’une région, d’un pays ».

Le risque est donc de faire face à une spéculation beaucoup plus ciblée et agressive qu’auparavant, d’où l’importance d’encadrer l’utilisation et la propriété de ces données.

Avant de se lancer

« En Belgique, cette question a déjà atteint un certain niveau de maturité, notamment grâce aux initiatives locales telles que OpenAgro, un projet initié par le CRA-W et dédié à la recherche d’un cadre juridique autour des données agricoles », estime Sébastien Weykmans.

« L’intelligence artificielle en agriculture n’a sa place que si elle résout des problèmes qui seraient insolubles ou beaucoup plus compliqués sans elle. Cette réponse technologique doit donc s’accompagner d’une réflexion sur ses avantages », dit-il encore.

L’utilisation de ces données devra aussi passer par une meilleure interopérabilité des systèmes (la possibilité pour différents systèmes d’interagir entre eux). En effet, en Wallonie, il existe une cinquantaine de plateformes dans lesquelles l’agriculteur doit encoder ses données (météo, production, etc.). Une perte de temps pour les acteurs du secteur qui se voient obligés de rentrer plusieurs fois une même donnée.

Haut depage