Un fragment de coque de bateau en matériau composite est mis dans un premier broyeur. (c) Laetitia Theunis
Un fragment de coque de bateau en matériau composite est mis dans un premier broyeur. (c) Laetitia Theunis

Les matériaux composites passent à l’économie circulaire

27 février 2018
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Qu’ont en commun une coque d’un bateau de plaisance, une carlingue d’avion et les panneaux de signalisation qui jalonnent nos routes ? Tous trois sont faits du même matériau composite. Il s’agit de plastique thermodurcissable (TD) dopé de fibres de verre pour lui conférer davantage de résistance.

Fragments de coque de bateau et plaque de signalisation. Ces deux objets sont faits dans le même matériau composite thermodurcissable. © Laetitia Theunis
Fragments de coque de bateau et plaque de signalisation. Ces deux objets sont faits dans le même matériau composite thermodurcissable. © Laetitia Theunis

Très difficilement recyclable, ce matériau est au cœur du projet Interreg Recy-composite. Son objectif? Développer des méthodes permettant de le broyer et de séparer fibres et grains de plastique afin qu’ils puissent être réutilisés.

Une résistance folle…

En Europe, la production annuelle de ce matériau thermodurcissable est d’un peu plus de 1,1 million de tonnes, dont 46.000 tonnes dans le Benelux. S’il est à parier qu’il sera bientôt supplanté par le composite thermoplastique (TP) dans les objets de la vie courante, comme nous le verrons par la suite, le thermodurcissable a toutefois encore de beaux jours devant lui dans les domaines aéronautiques et militaires. Et pour cause, il brille par sa résistance mécanique très élevée – supérieure ou égale à celle de l’acier – mais aussi sa résistance chimique – il est impossible de dissoudre un TD – et thermique – il est difficile de faire fondre un TD…

Ces caractéristiques techniques exceptionnelles, si elles font le bonheur des fabricants des costaudes pièces primaires des avions comme les ailerons ou les raidisseurs, font aussi le malheur des recycleurs. C’est ainsi que les objets conçus en plastique thermodurcissables comme les pales d’éolienne, finissent souvent leur vie en décharge, broyés puis enfouis sous terre.

3,18 millions d’euros pour davantage de recyclage

À l’ère de l’économie circulaire, cela fait tache. C’est pourquoi l’Europe a mandaté six équipes de recherche wallonnes, flamandes et françaises pour développer des solutions innovantes de recyclage des TD et de valorisation des déchets transférables vers le monde économique de la zone. Il s’agit du projet transfrontalier Recy-composite qui a démarré au 1er avril 2016. Il est doté d’un budget de 3,18 millions d’euros sur quatre ans.

Fraction de fibres de verre épurées à la sortie du tamiseur . © Laetitia Theunis
Fraction de fibres de verre épurées à la sortie du tamiseur . © Laetitia Theunis

L’un des acteurs wallons est le Centre de recherche agréé Terre et Pierre (CTP), à Tournai. « Sur le marché aujourd’hui, il y a des millions de tonnes de produits composites TD avec des fibres. Il faut s’en occuper et trouver des solutions de recyclage. C’est d’autant plus d’actualité que la Chine a coupé sa frontière à l’exportation massive de nos déchets », explique Stéphane Neirynck, directeur général du CTP.

Broyer pour mieux séparer fibres et plastique

Les deux premières années du projet ont été consacrées à développer les méthodes de broyage des déchets en TD et de séparation des fractions « plastique » et « fibres ». Et ce, selon différentes granulométries pour permettre leur réutilisation.

Hervé Brequel, responsable R&D au CTP, lève un coin du voile sur ces méthodes:

 

Rien de tel que la démonstration pour mieux comprendre. Le calme du hall de recherche laisse place au vrombissement des moteurs. Préalablement dépecée en larges morceaux d’une trentaine de centimètres, la coque d’un bateau de plaisance va être réduite en miettes en quelques minutes.

Le premier broyeur, appelé Shredder, dévore jusqu’à 100 kg de TD par heure. Les fragments qu’il recrache sont véhiculés jusqu’à un concasseur à marteaux qui en fait son festin. Les fins morceaux résiduels sont ensuite acheminés par tapis jusqu’au sommet d’un tamiseur. Ils chutent alors au travers de trois tamis au maillage décroissant, générant quatre fractions. Celle qui est composée des fragments les plus gros est la plus intéressante en termes économiques.

Il s’agit d’une concentration de fibres de verre épurées, comme l’explique Hervé Brequel:

 

De la coque de bateau au bac de douche

Cette première fraction représente de 20 à 30% de la masse de fibres présentes au départ dans le matériau, qui, lui, était composé d’environ 30% de fibres mêlées à 70% de plastique TD. Si les deux fractions intermédiaires mêlent plastique et fibres de verre, la dernière, la plus fine, n’est composée que de plastique TD. Comment la valoriser ? C’est une des questions auxquelles le projet RECY-COMPOSITE va désormais tenter de répondre.

Différentes pistes sont envisagées. Par exemple, l’incorporer comme charge dans les colles ou dans d’autres plastiques. « Quand on veut créer un plastique d’une certaine densité, on lui ajoute quelque chose de lourd. D’habitude, ce sont des charges minérales (tel le sable, NDLR). On pourrait les remplacer par ces grains fins de plastique », précise Hervé Brecquel.

Quant aux fibres, elles sortent rétrécies du traitement par broyage. Il est impossible de les réallonger pour leur rendre leur haute résistance d’origine. « Raccourcies, ces fibres sont trop faibles que pour être réutilisées dans une nouvelle coque pour bateau de plaisance; mais elles conviennent pour renforcer les bacs de baignoire et de douche. Il s’agit de réfléchir à l’optimisation de l’utilisation de la matière », explique Wim Grymonprez de VKC-Centexbel. « Lorsque le bac de cette douche sera à son tour jeté et broyé, les fibres que l’on obtiendra seront encore plus courtes. Il faudra trouver des usages pour ce matériau dans l’industrie. »

L’émergence des thermoplastiques

Depuis quelques années, un nouveau type de composite gagne le marché. Il s’agit de thermoplastique (TP) renforcé par des fibres de verre ou de carbone. Ses caractéristiques techniques de résistance sont moins exceptionnelles que celles du thermodurcissable (TD), mais il a l’énorme avantage d’être aisément recyclable. Prochainement, il pourrait supplanter le TD dans les clubs de golf, les cannes à pêche et autres arceaux de tente.

Afin de limiter le gaspillage des précieuses fibres, l’entreprise flamande Vivatex a créé un ruban rigide en composite TP agrémenté de fibres de verre ou de carbone. Cette préforme peut être ajoutée en un endroit déterminé d’un conteneur, d’une porte ou d’un caisson pour le renforcer localement.

Renforcer les corsets médicaux

 

Francois Viérin, directeur de Vivatex, tient dans sa main gauche des exemples de rubans de composites préformés. Dans sa main droite, il présente le corset renforcé par de tels rubans. © Laetitia Theunis
Francois Viérin, directeur de Vivatex, tient dans sa main gauche des exemples de rubans de composites préformés. Dans sa main droite, il présente le corset renforcé par de tels rubans. © Laetitia Theunis

François Viérin, directeur de Vivatex (Covematex), révèle la première application de son invention dans le monde industriel : un corset médical, à la fois résistant, fin et léger, car renforcé par des rubans de composite à la fibre de carbone. Lorsqu’il sera temps de le jeter, le corset sera facilement démantelé par une machine classique de recyclage du plastique. Les fibres et le plastique TP récupérés seront ensuite réutilisés aisément.

 

L’évolution actuelle vers davantage d’économie circulaire dans le domaine des composites se fait donc par deux chemins. Le premier vise à parvenir à recycler les redoutables thermodurcissables qui ont envahi le marché depuis des lustres. Le second est de concevoir des nouveaux composites et des produits bien plus facilement recyclables. Et ce, dans l’optique que les déchets deviennent la matière première d’un autre produit. De quoi boucler la boucle.

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