Les boues d’épuration, premières sources de phosphore

27 avril 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Sans phosphore, pas de maraîchage, et donc pas de légumes. C’est dire l’importance capitale de cet élément chimique. Si actuellement, il est majoritairement importé en Europe, le projet Interreg Phos4You vise à l’extraire des boues de stations d’épuration qui, jusque-là, étaient incinérées. Et à le recycler comme amendement agricole. Des chercheurs de l’Unité de Recherche Chemical Engineering de l’ULiège, dirigée par Pre Angélique Léonard, ont conçu et testé une unité pilote de récupération du phosphore. Elle vient d’être installée à la station d’épuration des eaux usées de l’AIDE à Oupeye.

PULSE, l’unité pilote de récupération du phosphore dans les boues de station d’épuration © Laetitia Theunis

Une matière première critique et importée

Le phosphore est majoritairement (86%) utilisé comme engrais minéral épandu sur les champs. Mais ce n’est pas là son seul usage. Il est également un composant essentiel pour l’industrie agroalimentaire (10%). « En effet, les sels de phosphate sont utilisés comme agents de conservation dans les viandes et crevettes surgelées. Mais aussi comme agents gonflants pour les pâtisseries », explique la Pre Léonard.

Ne comptant qu’une seule mine de phosphate (en Finlande) sur le territoire européen, pas moins de 90 % du phosphore utilisé en Europe dépend des importations. Essentiellement du Maroc, pays abritant plus de 70 % des réserves mondiales de roches phosphatées.

Mais les mines ne sont pas sans fond. Et, depuis 2014, le phosphore est classé parmi les matières premières critiques. C’est-à-dire parmi les éléments chimiques d’une grande importante économique, mais dont l’approvisionnement comporte un risque certain.

De précieuses boues hygiénisées

Face à ces informations, les regards se sont tournés, ces dernières années, sur le recyclage. En effet, le phosphore est un composé des aliments, et est rejeté par les urines et les selles. Il se retrouve ainsi dans les eaux usées à l’entrée des stations d’épuration. Et, en fin de traitement d’assainissement, se concentre dans les boues.

Parmi les 210.000 tonnes de boues brutes de stations d’épuration à traiter annuellement, 70 % sont hygiénisées. « C’est-à-dire chaulées puis déshydratées. Ce processus les rend inactives. C’est ainsi que le coronavirus présent dans les boues est rendu totalement non infectieux », explique Jean-Luc Martin, président du comité de direction de la SPGE.

Dotées d’un certificat de traçabilité, ces boues peuvent ainsi être épandues, sans aucune crainte sanitaire liée à la Covid-19, comme précieux amendement agricole phosphoré. Concernant les micro-polluants, tels que les médicaments, des recherches sont en cours pour parvenir à les ôter des eaux et des boues à un coût acceptable.

Economie circulaire

Quid des 30 % de boues non-hygiénisées ? C’est là que le projet Phos4You, auquel participent 12 partenaires de la zone Nord-Ouest de l’Europe ainsi que la Suisse, entre en scène. La branche wallonne de ce projet européen vise à retirer ces 60.000 tonnes de boues de la filière incinération et co-incinération (cimenterie ou en usine de traitement de déchets, telle que Ipalle à Thumaide), pour les faire entrer dans une boucle d’économie circulaire. Notamment en les recyclant en un engrais agricole.

Dans le cadre de Phos4You, des chercheurs de l’Université de Liège ont développé PULSE (Phosphorus ULiège Sludge Extraction), un dispositif pilote pré-industriel qui permet de récupérer le phosphore à partir de ces boues. Le développement de PULSE représente un investissement de 1,5 million d’euros, réalisé par l’Interreg North-West Europe (60%), la Wallonie (30%) et l’ULiège (10%).

Issues du traitement des eaux usées, les boues sont, tout d’abord, séchées et concassées en granulés de 3 à 4 mm de diamètre. Vient ensuite l’étape de lixiviation. Cette technique d’extraction au moyen d’un solvant acide dissout le phosphore présent dans les boues séchées, ainsi que les impuretés comme les métaux lourds. Ces derniers sont éliminés lors de l’étape d’extraction réactive. Le phosphore est finalement récupéré par précipitation (une réaction dans laquelle le mélange de solutions aqueuses donne un composé solide) sous forme de phosphate de calcium.

Boues de station d’épuration avant le processus de récupération du phosphore. Elles seront tout d’abord séchées en étuve puis broyées © Laetitia Theunis

 

Etape de lixiviation : un acide circule dans la boue pour dissoudre le phosphore et les impuretés, comme les métaux lourds © Laetitia Theunis

 

En fin de processus, le liquide dépollué (les métaux ont été extraits) et chargé de phosphore est transparent. Le phosphore sera récupéré en le faisant précipiter sous forme d’un phosphate de calcium ou de sodium © Laetitia Theunis

À partir de 400 kg de boues déshydratées puis séchées, le démonstrateur PULSE récupère au final environ 12 kg de produit enrichi en phosphore, dépourvus de métaux lourds et pouvant être recyclés de manière sûre comme engrais dans l’agriculture.

Analyse d’impacts

L’impact environnemental du procédé est évalué à l’ULiège.

« L’analyse du cycle de vie est utilisée dans le cadre de Phos4You afin vérifier l’intérêt environnemental des procédés de récupération du phosphore. Divers indicateurs, comme le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, l’eutrophisation… sont évalués de manière à éviter les transferts d’impacts et à développer des procédés dont l’empreinte environnementale est la plus basse possible », conclut la Pre Léonard.

 

 

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