La cosmologue américano-canadienne Wendy Freedman, de l’Université de Chicago, vient de se voir décerner le prix international Georges Lemaître, à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain). Ce prix récompense des scientifiques qui ont contribué à l’accroissement des connaissances dans les domaines de la cosmologie, de l’astronomie, de l’astrophysique, de la géophysique et de la recherche spatiale. Dans le cas de la Pre Freedman, ce sont ses travaux sur la mesure de la constante de Hubble, résultant de la loi Hubble-Lemaître, qui lui ont valu cette récompense.
Mesurer le taux d’expansion de l’Univers
« La loi Hubble-Lemaître porte sur la relation qui existe entre la vitesse de récession des galaxies en fonction de leur distance », nous explique la lauréate, lors d’une discussion-promenade à Louvain-la-Neuve, quelques heures avant la remise du prix.
« Elle nous donne le taux actuel d’expansion de l’Univers. Cette loi fondamentale, caractéristique de la dynamique et de l’âge de l’Univers en expansion, fait l’objet depuis près de cent ans de mesures visant toujours plus de précisions et de complémentarités d’approches. Les paramètres de ce taux varient en fonction du temps et du décalage dans le rouge des objets lointains que nous observons. »
« Actuellement, l’expansion de l’Univers est en accélération. Quand on calcule cette accélération localement et à un moment précis, cela nous donne la constante de Hubble. Un chiffre qui porte sur des kilomètres par seconde et par mégaparsec.»
Les derniers calculs de l’équipe de la Pre Freedman, qui datent d’il y a tout juste un mois, donnent pour cette constante une fourchette allant de 68 à 70 km/s/Mpc. Du temps d’Hubble et de Lemaître, on estimait cette constante à quelque 500 km/s/Mpc!
Un mégaparsec, correspond à une distance d’un million de fois la distance de 3,26 années-lumière. Une année-lumière correspond, quant à elle, à la distance parcourue par la lumière en une année. La lumière voyageant dans le vide à une vitesse d’environ 300.000 km par seconde, une année-lumière représente donc une distance de 9,46 milliards de kilomètres.
Les Céphéides, les Géantes rouges et les étoiles carbonées
« Pour déterminer ce taux d’expansion, je me base, depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, sur des séries d’observations de certains types d’astres dans l’Univers afin d’en déterminer les distances », reprend la Pre Freedman.
« Nous avons d’abord travaillé sur des étoiles à luminosité variable de type Céphéides. Ensuite sur des Géantes rouges et, plus récemment, sur des étoiles carbonées. Au fil du temps, et avec les derniers outils et technologies à notre disposition, nous n’avons cessé de préciser la constante de Hubble. Je pense aux télescopes terrestres et aux télescopes spatiaux, comme Hubble et plus récemment à son successeur, le télescope James Webb. »
Chasse à la poussière cosmique
« Au début de ma carrière, et avant le lancement du télescope Hubble, j’ai travaillé sur les Céphéides en tentant de corriger les données d’observation disponibles en fonction de la présence de poussière dans l’Univers. Cette poussière altère la luminosité que nous percevons. La prise en compte de cet élément était novatrice.»
Une des motivations pour la construction du projet de télescope spatial Hubble, qu’elle a dirigé, a justement été d’atténuer la fourchette d’erreur dans les appréciations de la constante de Hubble. « Du temps de Hubble et de Lemaître, on estimait que cette constante était comprise entre 50 et 500 km/s/Mpc. Par la suite, cette fourchette a été ramenée à une accélération comprise entre 50 et 100 km/s/Mpc… », précise la cosmologue.
Multiplier les types d’observation pour réduire les incertitudes
Le télescope spatial Hubble a été lancé 1990. À partir de 1993, la chercheuse a ainsi pu disposer de ses premières bonnes données. Par la suite, en 2013, grâce aux données du télescope Spitzer, ces chiffres ont encore été améliorés.
« En utilisant le télescope Hubble, nous avons également développé une nouvelle méthode de calcul basée sur l’observation d’un autre type d’étoiles : les Géantes rouges. Notre premier article scientifique à ce sujet date de 2019. Nos travaux donnaient alors comme valeur moyenne 72 km/s/Mpc pour la constante de Hubble, avec une incertitude de l’ordre de 10%. »
Une autre technique, exploitée par une autre équipe de recherche, a vu le jour pour mesurer cette constante. Elle est basée sur les différences de température du rayonnement de fond de l’Univers. Autrement dit, le rayonnement cosmologique ou les « restes » du Big Bang. « En 2013, grâce aux données provenant du satellite Planck, la valeur moyenne de la constante de Hubble a été ramenée selon cette mesure à 67 km/s/Mpc », relate Pre Freedman.
Tenir compte de l’énergie noire
« La question s’est alors posée de savoir pourquoi nos mesures locales (Céphéides et Géantes rouges) étaient différentes de celles réalisées sur base de celles basées, à bien plus grande distance, sur la fluctuation de la température du rayonnement du fond cosmologique. La prise en compte de la composition même de l’Univers est ici pertinente. On n’observe que 30% de la composition de l’Univers, le reste étant constitué d’énergie noire. Celle-ci peut participer à l’accélération de l’expansion de l’Univers. »
« Grâce à nos nouvelles observations réalisées avec le télescope spatial James Webb (lancé en 2021), nous avons pu refaire nos calculs en nous basant sur trois types d’astres: les Céphéides, les Géantes rouges et les étoiles carbonées. Nos calculs sur ces trois types d’astres, menés en aveugle, par trois équipes différentes et avec des méthodes différentes, nous donnent le même résultat. Il a été annoncé voici un mois. La constante de Hubble se situe entre 68 et 70 km/s/Mpc. »
A quoi sert la cosmologie?
Mais à propos, à quoi sert cette information? Et, plus globalement, à quoi sert la cosmologie? Pourquoi est-ce important pour l’humanité? La question fait sourire la Pre Freedman.
« En tant qu’espèce humaine, nous sommes dotés d’un cerveau qui veut explorer, comprendre ce qui se passe autour de nous », reprend Wendy Freedman. « Notre espèce se pose des questions sur sa propre existence: d’où venons-nous? Comment sommes-nous arrivés au stade où nous en sommes? Certaines personnes se sont posé des questions à propos de l’électricité, du magnétisme et d’une multitude d’autres phénomènes. »
« C’est le propre de notre espèce d’être curieux, de chercher, de vouloir comprendre dans quel Univers nous baignons et comment il fonctionne. Des questions qui, un jour, débouchent sur des réponses. Et, parfois, sur des applications utiles à l’humanité, comme le positionnement par satellites. Sans Einstein et ses travaux sur la relativité, le GPS n’existerait tout simplement pas. »
« Pour moi, se demander à quoi sert la cosmologie revient au même que se poser d’autres questions tout aussi importantes: à quoi sert l’art? A quoi sert la musique? Ces questions trouvent leurs réponses dans ce que nous sommes intrinsèquement: des êtres humains curieux, dotés d’un cerveau. Des humains qui veulent expérimenter, découvrir, comprendre. Bien sûr, tout le monde ne va se lancer dans ce genre de réflexion, d’études ou de questionnements. Mais tout le monde peut en apprécier les résultats! »