À chaque battement, le cœur expédie le sang dans tout l’organisme. Le cœur lui-même, c’est-à-dire le muscle cardiaque, bénéficie également de cet apport régulier. Comme n’importe quel organe, s’il s’en trouve privé, si son irrigation connaît des ratés, cela peut entraîner de sérieux problèmes. Par exemple, des nécroses des tissus ou un infarctus.
À l’hôpital universitaire de Mont Godinne (CHU UCLouvain/Namur) le Dr Ludovic Melly, chef de clinique adjoint au Service de chirurgie cardiaque, tente de trouver une parade à ce type de problèmes. Ses recherches, menées dans le cadre d’une thèse de doctorat UCLouvain, portent plus spécifiquement sur la micro-circulation sanguine.
Le médecin participait cette année au concours de vulgarisation scientifique « Ma thèse en 180 secondes ». L’occasion de résumer ses travaux et leurs enjeux dans un langage simple et accessible.
Favoriser le développement de capillaires dans la zone malade
Ludovic Melly distingue deux cas de figure en ce qui concerne l’irrigation du cœur.
« D’une part, nous avons la question de la macro-vascularisation », explique-t-il. « Cela concerne les gros vaisseaux qui irriguent le cœur: les coronaires. Si à leur niveau, le sang ne passe plus, nous disposons de diverses solutions pour rétablir le débit: pontage, usage d’un ballon pour rouvrir l’artère, placement d’un stent… ».
D’autre part, il y a la question de la micro-vascularisation du cœur. Ici, ce sont les petits vaisseaux sanguins qui sont concernés: les capillaires qui assurent les échanges entre sang et organe. C’est précisément à ce niveau que se situent les travaux du chirurgien cardiaque.
Pour rétablir une bonne circulation sanguine à ce niveau, les spécialistes tentent de faire « pousser » de nouveaux petits vaisseaux. En multipliant le nombre de capillaires, ils espèrent pouvoir rétablir une bonne irrigation de la zone cardiaque affaiblie.
Amener le facteur de croissance à bon port, à bonne dose, et pendant un temps optimal
Et pour favoriser ce développement capillaire, rien de tel que le recours à des « facteurs de croissance », des molécules appelées VEGF dans le jargon. En les injectant dans les tissus malades, ces facteurs stimulent le développement de nouveaux vaisseaux, ce qui peut rétablir la bonne irrigation des tissus.
Simplissime comme idée? Sans aucun doute. Mais sa mise en pratique est bien plus délicate.
« Si on stimule trop la zone cardiaque affaiblie, cela mènera au développement de trop nombreux nouveaux vaisseaux. Cette surproduction peut alors avoir des effets négatifs tels que la formation d’angiomes, des tumeurs vasculaires. Si la vascularisation est alors boostée, celle-ci ne sera alors pas fonctionnelle », explique le Dr Melly.
« Il est donc primordial de contrôler la dose de facteurs de croissance injectée. Mais aussi de la contrôler dans le temps. Si la stimulation avec les facteurs de croissance s’arrête trop vite, avant que les vaisseaux nouvellement formés ne se soient stabilisés, ces nouveaux vaisseaux régresseront et disparaîtront ».
Un gel plutôt que des cellules génétiquement modifiées
Ce qui nous amène à ses recherches. « Nous avons pu démontrer qu’en introduisant un facteur de croissance dans des cellules souches d’origine humaine, et qu’en sélectionnant les cellules qui produisent un taux thérapeutique et sûr (donc ni trop peu, ni trop) de VEGF, nous pouvions obtenir la formation de nouveaux vaisseaux fonctionnels dans le cœur du rat, et en même temps stabiliser un infarctus en injectant ces cellules autour de la zone à risque qui manquait de sang et de nutriments », détaille-t-il.
« Ces cellules, nous les modifions génétiquement au moyen de rétrovirus. Cela prend du temps, environ 3-4 semaines, et cela pose des problèmes de sécurité par rapport à la virulence de ces rétrovirus et leurs éventuelles mutations. »
Le chercheur a alors changé d’approche. Plutôt que de passer par des gènes pour insérer ces facteurs de croissance, il a opté pour des protéines. Leur avantage, c’est qu’elles sont éliminées après quelques jours par le système immunitaire. Malheureusement, quelques jours, c’est un peu court pour permettre aux nouveaux vaisseaux de se développer…
« Nous étudions donc actuellement une autre méthode de distribution de ces facteurs de croissance. Nous les intégrons dans un gel. Ses avantages? Nous pouvons moduler la durée d’action de ce gel dans l’organisme et ainsi obtenir une durée d’action d’un à trois mois. En outre, ce gel serait facilement disponible en salle d’opération et donc plus proche d’une applicabilité clinique ».
« Jusqu’à présent, nous avons testé ce gel dans la paroi du cœur sain de rat (à raison de 25 à 30 microlitres par injection). Mais les résultats ne sont pas ceux espérés. Non seulement nous n’observons pas d’augmentation de nouveaux vaisseaux dans et autour de la zone d’injection, mais, en plus, nous avons constaté que cela menait à l’apparition d’une large cicatrice, une cicatrice bien plus grande que celle observée avec l’injection de cellules génétiquement modifiées. »
« Dans le cas du gel, nous avons pu démontrer que cette cicatrice ne dépendait pas du volume injecté ni de la rigidité du gel. Elle ne dépendait pas non plus de l’action du système immunitaire contre les composantes humaines de ce gel, mais bien contre le gel en soi », explique le Dr Melly.
La suite de ses travaux? Il a pu identifier une des causes potentielles à l’origine de cette large cicatrice. « Nous allons donc tenter prochainement une nouvelle expérience en rendant silencieuse cette partie du gel. »