Série (2/3) Sciences africaines
Au printemps 2010, la botaniste Alexandra Ley a embarqué à bord d’un des deux bateaux de l’expédition Congo River 2010. Avec 66 confrères, congolais et étrangers, elle a vogué pendant deux semaines de Kisangani à Bumba pour étudier la biodiversité du fleuve et des forêts environnantes.
Au moment de l’expédition, la scientifique relevait de l’Université Libre de Bruxelles, où elle effectuait un post-doctorat. Désormais attachée à l’université de Halle, non loin de Leipzig (Allemagne), le Dr Ley reste « chercheuse associée » à l’ULB, au sein du laboratoire d’évolution biologique et d’écologie.
Sa spécialité, ce sont les Marantaceae. Un groupe de plantes ressemblant à des herbes et des lianes. On les trouve dans les sous-bois tropicaux, en Afrique mais aussi en Asie et en Amérique du Sud. Alexandra Ley, les avait déjà étudiées au Cameroun et au Gabon. Le but était donc de voir si elle allait trouver les mêmes espèces au Congo ou s’il y existait des Marantaceae spécifiques.
« Je savais qu’il y avait des Marantaceae dans le bassin du Congo mais je n’avais pas d’information sur leur ADN. Or, je voulais vérifier tout d’abord si la diversité était aussi importante que celle observée au Gabon et au Cameroun. Et ensuite étudier les spécimens au niveau génétique afin de voir s’il y avait eu des échanges entre les régions » explique-t-elle.
Durant les deux semaines qu’a duré leur expédition, les chercheurs se sont arrêtés deux fois cinq jours : près de Yangambi et près de Bumba. Ils ont récolté 450 spécimens d’herbes, de plantes et d’arbres dont une dizaine de Marantacea différentes.
Herbiers géants au Congo et en Belgique
Toutes les espèces ont été récoltées en deux exemplaires afin d’en conserver un à l’herbarium de Yangambi et l’autre au Jardin Botanique de Meise. Des fragments de feuilles ont également été prélevés afin de procéder à des analyses ADN.
Aujourd’hui, Alexandra Ley a quasiment terminé ses recherches sur la phylogéographie (l’analyse de distribution de la diversité génétique) des Marantaceae au Congo. Résultats ? «Les plantes récoltées peuvent être classées en trois catégories.
« Certaines espèces ont leur centre de diversité au Congo », explique la botaniste. « Cela veut dire qu’elles sont vraiment originaires du Congo et qu’elles sont ensuite remontées au Gabon et plus à l’Est. D’autres, au contraire, ont connu une première aire de distribution au Gabon et au Cameroun puis se sont installées dans le bassin du Congo. Dans la troisième catégorie, on retrouve les Marantaceae qui semblent être originaires du Gabon et du Cameroun mais qui présentent des traits génétiques particuliers. Il y aurait donc eu une spécialisation après leur installation dans le bassin du Congo. Cela reste encore à étudier », précise Alexandra Ley.
Un fleuve « pas si mythique »
L’expédition sur le fleuve Congo a été une expérience très riche pour la chercheuse qui est depuis retournée plusieurs fois dans le pays.
Quand on lui demande ce qui a été le plus marquant pour elle lors de ce voyage sur le mythique fleuve Congo, elle répond avec humour: « Que ce n’est pas si mythique que cela. On imagine toujours qu’il s’agit d’un lieu perdu, loin de tout, vierge. Mais en fait il y a des gens, des bateaux et des villages partout. Les gens se déplacent en bateaux. Et même sans moteurs, ils rejoignent rapidement les villes ou villages alentour ».
Les forêts visitées par les chercheurs étaient aussi largement exploitées par les populations locales. Celles-ci utilisent le bois pour se chauffer ou pour construire leurs maisons.
Et les Marantaceae n’y échappent pas. Leurs fruits servent de sucre, leurs feuilles sont utilisées pour emballer les aliments ou les cuire. Elles sont aussi suffisamment résistantes que pour couvrir les toits des maisons. Mais les Marantaceae ne sont pas les plus menacées : « leur répartition est assez large et elles ont une grande capacité à se régénérer. Par ailleurs, la plupart des Marantaceae se portent bien quand la forêt est plus ouverte mais pas surexploitée . Dans ce cas, il n’y a plus de Marantaceae », confie la chercheuse.
Surveillance de la biodiversité
L’expédition avait notamment pour but de mieux connaître la flore locale. « C’est la première fois que des analyses génétiques sont faites sur des plantes dans le bassin du Congo. Les nombreuses photos prises des différentes espèces végétales vont être regroupées dans un inventaire. Marc Sosef, du Jardin Botanique de Meise, désire que toute la flore d’Afrique centrale soit couverte d’ici 15 ans. Il a contacté tous les spécialistes de chaque espèce afin qu’ils lui fournissent les dernières mises à jour », raconte Alexandra Ley. L’inventaire sera ensuite mis en ligne, afin d’être accessible au plus grand nombre.