Des millions de personnes sont soumises à la tyrannie d’un smartphone, d’une tablette, d’un ordinateur ou de la télévision. Gâchent ainsi leur vie et celle de leurs proches. Cette dépendance inquiète Caroline Depuydt. La psychiatre décortique les stratégies des industries pour accrocher et manipuler nos comportements dans «Je me libère des écrans» aux éditions Racine. La directrice médicale adjointe du réseau de soins psychiatriques Epsylon propose des outils concrets pour éviter que notre vie soit dirigée par des écrans.
«Il ne s’agit pas simplement de moins utiliser les écrans», précise la Dre Depuydt. «Mais avant tout de comprendre pourquoi nous les utilisons autant. Ce n’est qu’en prenant le problème à sa racine que nous pourrons trouver des solutions durables. Cet ouvrage n’offre pas de promesse. Mais veut susciter un espoir. Celui de retrouver une vie plus équilibrée. Plus en phase avec ses proches. Et finalement plus reposante.»
Consommer le plus possible de notre temps
Prendre conscience de l’univers digital et de sa façon de passer sous les radars est la première étape pour maîtriser sa consommation numérique. La psychiatre rappelle qu’en 2017, l’informaticien étatsunien Sean Parker, ancien président du réseau social Facebook, expliquait froidement que «lorsque nous avons développé Facebook, le principe était le suivant: comment consommer le plus possible de votre temps et de votre attention.»
La solution? «Fournir un peu de dopamine, la molécule souvent considérée comme l’hormone du plaisir, chaque fois que possible. C’est ce qu’il se passe quand quelqu’un récompense d’un ‘like’ (j’aime) ou d’un commentaire l’un de vos ‘posts’ (billets, articles sur Internet) ou l’une de vos photos. Grâce à quoi vous publiez plus de ‘posts’, plus de photos. Et recevez plus de ‘likes’ et de commentaires. C’est une boucle de rétroaction de validation sociale. Nous exploitons la vulnérabilité de la psychologie humaine.»
Récompenser et punir
Ces récompenses flattent une estime de soi parfois défaillante. Toujours en recherche de reconnaissance et d’approbation.
Pour Caroline Depuydt, «nous pensons alors que nous avons une certaine valeur, que nous sommes acceptés, intégrés parmi nos pairs. Or, ce besoin d’être intégré est très ancien et capital à notre survie.»
On pourrait dire que les ‘likes’ ont un versant positif? «Mais on voit aussi le revers de la médaille quand ils créent de la frustration et de l’inquiétude dès lors que l’on n’en reçoit pas assez. Ou simplement moins que son voisin.» Les développeurs parlent rarement publiquement de la manière dont les données façonnent la conception et le développement des jeux. La psychiatre cite le Britannique John Hospon, chercheur dans l’industrie du jeu qui a édité en 2023 «The secret sciences of games».
«Pour inciter les visiteurs à jouer intensément et longtemps, il faut leur fournir des récompenses distribuées à un rythme variable mais fréquent. Et également les punir s’ils cessent de jouer. Ou ne jouent pas assez.»
Réveiller le cerveau
La psychiatre propose notamment un test express pour détecter des signes de dépendance. Un exemple de journal de bord de la consommation numérique. Des stratégies qui réveillent le cortex préfrontal du cerveau afin qu’il joue à nouveau son rôle dans la prise de décision. Le contrôle des impulsions. La régulation émotionnelle. La planification d’actions plus bénéfiques. La régulation de la relation aux écrans.
«Au début, ce processus est fastidieux et non automatique. Mais si vous faites confiance à votre plasticité cérébrale et au processus d’apprentissage, vous saurez que vous pouvez modifier les anciennes habitudes et les remplacer par des nouvelles plus saines pour vous.»
Des stratégies? Garder les appareils hors de vue. Se souvenir qu’on fait un choix chaque fois qu’on se connecte. Rendre l’accès aux applications moins visibles, moins aisées. Limiter les notifications et autres bips. Pratiquer une pause consciente avant chaque connexion. Apprendre à faire face à l’épuisement de volonté qui diminue la capacité de prendre des décisions de qualité. De résister aux tentations.
«En prenant des mesures pour éloigner l’objet de l’addiction, le système dopaminergique peut se rétablir. Et l’on peut recommencer à trouver du plaisir avec des activités plus saines et naturelles», assure la docteure.
Conseils aux parents
Caroline Depuydt s’adresse aux parents. «Rappelez-vous que votre rôle n’est pas seulement de surveiller ou de limiter la consommation de vos enfants. Mais aussi de les soutenir et de les accompagner. Les enfants apprennent par mimétisme.»
«Offrez-leur un modèle sain de comportement numérique. Mais aussi la capacité de comprendre comment naviguer avec clairvoyance. Vous pouvez lire ce livre ensemble pour susciter le dialogue et permettre la conscientisation.»