La machine à enseigner l'accouchement, dAngélique Marguerite Du Coudray (1715-1794).
La machine à enseigner l'accouchement, dAngélique Marguerite Du Coudray (1715-1794).

Accouche! L’ULB revisite la natalité

28 février 2019
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

« On vit une époque extraordinaire! » Anne Delbaere, Professeure à l’Université Libre de Bruxelles et Chef de Clinique de la Fertilité à Hôpital Érasme, est enthousiaste. « Ces dernières dizaines d’années ont permis de révolutionner l’histoire de la reproduction humaine. Un thème vaste et riche. Un domaine dans lequel la recherche scientifique, mais aussi l’histoire, le militantisme et la politique se croisent constamment », dit-elle.

Anne Delbaere est aussi commissaire scientifique de l’exposition « Accouche! Histoires de la naissance » qui vient d’ouvrir ses portes sur le campus du Solbosch. Une exposition où on aborde notamment les enjeux sociétaux liés à la reproduction humaine: accès à la contraception dans les années 1950, mouvements féministes, procréation médicalement assistée, dépénalisation de l’avortement…

Fécondité, conception et évolution des savoirs

La visite est articulée en trois temps. Dans la salle Allende, on découvre d’abord la fécondité et la conception, puis l’évolution des savoirs autour de l’accouchement, et enfin les politiques publiques et les mouvements féministes autour de la naissance.

Documents, objets médicaux, matériel de formation des futurs professionnels de la naissance, dont la « machine » due à Angélique Marguerite Du Coudray, œuvres contemporaines, affiches politiques, films et interviews… L’exposition organisée par ULB Culture en partenariat avec le Musée de la Médecine croise les regards de la science avec les questionnements sociaux d’hier et d’aujourd’hui. Certains objets proviennent des collections du CPAS de Bruxelles, mais aussi de l’hôpital Notre Dame à la Rose, de Lessines.

La machine à enseigner l'accouchement, dAngélique Marguerite Du Coudray (1715-1794).
La machine à enseigner l’accouchement, d’Angélique Marguerite Du Coudray.

Un exemple? Au milieu du 18° siècle, en France, le pouvoir royal définit une politique nataliste pour regrossir les rangs de l’armée. Cette entreprise passe par la formation des sages-femmes. Dans cette mouvance de « professionnalisation » du métier d’accoucheuse, Angélique Marguerite Du Coudray (1715-1794) sillonne la France afin éduquer les matrones des provinces. Son enseignement repose sur des cours théoriques, mais surtout sur des exercices pratiques réalisés sur une « machine » de son invention. Celle-ci est constituée d’un mannequin figurant le ventre, le bassin et le haut des cuisses d’une parturiente et d’un fœtus relié par un cordon au placenta. Ces mannequins étaient fabriqués en cuir et rembourrés. À l’intérieur, une tige de métal ou des os faisaient office d’armatures.

Le natalisme comme politique d’État

Le natalisme moderne surgit à la fin du 19e siècle. L’idée que les femmes pourraient s’écarter du devoir maternel et ne pas contribuer à la puissance nationale effraie les classes dirigeantes. Des ligues et associations, comme l’Alliance nationale contre la dépopulation en France, militent pour que l’État favorise la «repopulation».

La Grande Guerre favorise l’adoption de mesures, comme la loi de 1920 en France, qui prohibe la propagande anticonceptionnelle, la vente de contraceptifs et la provocation à l’avortement. Une orientation politique qu’on retrouve dès 1923 en Belgique, qui s’inspire des textes français. Dans le monde anglo-saxon, Margaret Sanger et Marie Stopes proposent de réconcilier modèles familiaux traditionnels et droit à la contraception.

Politique nataliste en France.
Politique nataliste en France.

La planification familiale un droit humain depuis… 1994

En 1942, le vocabulaire évolue. On ne parle plus de “birth control”, mais de “family planning” histoire de rassurer les natalistes et les apôtres de la famille. La famille nucléaire où l’homme travaille et la femme élève ses (deux) enfants, est érigée en idéal et en rempart contre le communisme. L’association Maternité heureuse est fondée en France en 1953, et le premier centre belge de planning familial, Famille heureuse, voit le jour en 1962.

La logique des « droits » aura joué un rôle secondaire dans la reconnaissance légale de la fécondité contrôlée. Le baby-boom, la peur de la « surpopulation », l’eugénisme et les considérations économiques furent plus déterminants. La loi Neuwirth de 1967 se limite à abroger la loi de 1920 et à autoriser la fabrication et l’importation de contraceptifs. En 1966, l’OMS définit encore la maîtrise de la fécondité comme un enjeu sanitaire. Il faut attendre 1968 pour que l’ONU fasse de la planification familiale un droit humain et 1994 pour qu’elle consacre la notion de droits reproductifs.

Accouchement à l’hôpital

Ce n’est là qu’une des thématiques abordées dans l’exposition. D’un point de vue plus médical, on y (re)découvrira aussi que l’accouchement à l’hôpital se développe dès les années 1920-1930 en France et aux États-Unis, et principalement dans les villes.

Un progrès qui est d’abord effrayant. « Les femmes sont soumises au personnel médical, qui conserve à leur égard la méfiance envers les pauvres des hospices d’autrefois », y explique-t-on. « Pour des raisons d’hygiène, les visites y sont strictes, même après la naissance. Et il est impossible pour la mère de s’isoler, car les salles communes sont de dix à quarante lits, rendant difficile le repos total. Rien d’étonnant donc à ce que les femmes qui en ont les moyens préfèrent accoucher à la maison avec l’aide d’une sage-femme ou d’un médecin ».

« À la campagne, les hôpitaux modernes n’existent pas : les sages-femmes viennent à domicile, ou surveillent les accouchements dans de petites maternités rurales de quelques lits, peu équipées, où le médecin passe de façon épisodique. Ainsi observe-t-on la coexistence de deux pratiques : la bourgeoisie urbaine et les paysannes accouchent plus volontiers à la maison et les classes populaires urbaines plutôt en milieu hospitalier ».

Progrès techniques et potentielle démédicalisation » de la naissance

D’autres transformations fondamentales des pratiques de naissance comme l’échographie, le monitoring et la péridurale apparaitront au cours des années 1970-80 et entraineront une augmentation du nombre d’accouchements en maternité.

La prise en charge médicalisée reste aujourd’hui la norme en Belgique, car elle permet, entre autres, d’avoir accès au matériel nécessaire en cas de complication. Ainsi, en Belgique, 20,8% des accouchements se font par césarienne. Le taux reste élevé, l’Organisation Mondiale de la Santé préconisant un taux de 15%. L’utilisation de la péridurale est quant à elle, une pratique bien ancrée dans notre pays : 75% des femmes y ont recours.

Face à une surveillance humaine et technique de la grossesse, certaines femmes optent pour un accouchement à domicile. La pratique reste marginale en Belgique et ne représente que 0,5% des accouchements. Pourtant, la popularisation des « cocons » et des positions d’accouchements plus naturelles pour la femme nous dirige peut-être vers une volonté de démédicalisation de la naissance.

Les défis actuels sont à géométrie variable

«Toutefois, notre travail de médecin est loin d’être une histoire écrite », estime le Pr Delbaere. « Les grands défis actuels liés à la naissance restent nombreux et diffèrent suivant les régions du monde. Chez nous, c’est l’âge de la maternité qui ne cesse d’augmenter. Les femmes ont des vies professionnelles intenses, elles ont pris leur place dans le monde du travail. Elles désirent devenir mères plus tard. Cela a un impact sur leur fertilité. Un défi que nous avons à relever dans nos pays industrialisés. Sous d’autres horizons, dans les pays émergents, l’urgence est de lutter contre la mortalité maternelle et infantile et d’avoir plus largement accès à la contraception », conclut-elle.

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