Mondialisation, européanisation, régionalisation. Le pouvoir et la souveraineté de l’État se diluent. Des groupes de pression influencent les décisions politiques. Des citoyens se méfient de leurs représentants. Votent pour des partis populistes… Benjamin Biard, aspirant du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS à l’Université catholique de Louvain (UCL), s’est entouré de chercheurs pour lancer une réflexion dans «L’État face à ses transformations», aux éditions Academia-L’Harmattan, dans la collection Science politique.
Ce livre découle du 7e congrès triennal de l’Association belge francophone de Science politique qui s’est tenu autour de ce thème à Mons, en 2017. Il analyse les changements et leurs conséquences. En Belgique, France, Bulgarie, Hongrie, Tunisie. Au Cameroun, Danemark, Maroc.
Des idées archéolibérales
Assistant du Pr Serge Deruette dans le service des Sciences politiques de l’École des Sciences humaines et sociales de l’Université de Mons (UMons), Quentin Pasetti étudie les évolutions des politiques socio-économiques en Belgique.
«L’histoire économique et sociale de la Belgique constitue un bel exemple de la construction de notre système social actuel sur les bases du mouvement collectif. À l’inverse, la responsabilisation des allocataires sociaux et le passage progressif de l’État-providence à l’État social actif auxquels on assiste depuis la fin du XXe siècle tiennent d’une logique philosophique différente, sinon totalement opposée. Celle de l’individualisation des membres de nos sociétés. De la même manière, les nombreuses tentatives de judiciarisation, allant jusqu’à leur criminalisation, traduisent une tendance au retour de la domination des idées que l’on appelle néolibérales. Alors même qu’elles semblent plutôt, au regard de l’histoire des idées politiques, archéolibérales.»
Le droit de grève est remis en cause… «La majeure partie des systèmes sociaux occidentaux ont été bâtis sur fond de contestation populaire et dans le cadre de rapports de force entre d’un côté les législateurs en place et de l’autre le monde du travail et la société civile organisés collectivement. Dans notre pays, la concertation sociale à la belge se transforme progressivement en opposition entre le monde du travail et celui du patronat. La mise en opposition systématique du droit de grève à un droit au travail, interprété comme un droit à se rendre au travail et non à avoir du travail ou à vivre des revenus du travail, sans pourtant aucune reconnaissance légale effective aujourd’hui, est également devenue monnaie courante dans les pratiques des employeurs lors d’actions syndicales.»
La Belgique, terrain fertile pour le populisme
Régis Dandoy, chargé de cours invité à l’UCL, et le chercheur Benjamin Biard analysent les programmes électoraux des principaux partis populistes dans notre pays. Près d’un tiers des partis participant aux élections fédérales de 2014 reposaient sur une idéologie populiste.
«La Belgique a de tout temps été un terrain fertile pour l’émergence des partis populistes. Parmi les plus étudiés, le Vlaams Blok/Vlaams Belang apparaît à la première marche du podium étant donné sa longévité dans le système politique belge et ses résultats électoraux importants dans les années 1990 et au début de la décennie suivante. Tandis que des travaux plus récents se sont penchés sur la Lijst Dedecker. Côté francophone, c’est le Front National qui a souvent été étudié.»
Les rapports qu’entretiennent les partis populistes avec la démocratie sont ambigus… «Tantôt présentés comme une menace pour les régimes démocratiques contemporains, ils se veulent pourtant être à la pointe en matière de démocratie. Celle-ci est moins présente dans les programmes électoraux rédigés pour les élections fédérales de 2014.»
Les partis populistes se caractérisent par l’opposition peuple-élites… «Les populistes présentent cette opposition comme une opposition verticale, en ce sens que les élites confisqueraient le pouvoir au peuple, alors qu’ils proposeraient, eux, de le lui rendre.»
Les sciences politiques doivent évoluer
«Que l’État évolue implique nécessairement aussi que les sciences politiques, dont il est par excellence l’objet doivent, elles aussi, évoluer», conclut le Pr Serge Deruette. «Pourtant trop souvent encore, que l’on en juge par ce qui enseigné dans nombre de facultés et d’écoles de sciences politiques, les approches théoriques des phénomènes politiques demeurent celles de la fin du siècle passé. Ainsi continue-t-on, par exemple, à enseigner comme fondement théorique de l’étude des partis politiques, des classifications qui ont été élaborées à une autre époque, en plein cœur du XXe siècle.»