Avec des vents d’environ 360 kilomètres/heure, les courants d’air rapide (jet-streams) qui tournent autour de la Terre à quelque 10 kilomètres d’altitude jouent un rôle crucial sur la météo et le climat de la planète. Dans l’hémisphère Nord, le jet-stream fait office de mur, empêchant les masses d’air chaud de l’équateur de pénétrer dans l’Arctique, et les masses d’air polaire de se déplacer au sud. Or, depuis une vingtaine d’années, le changement climatique tend à fissurer ce mur, laissant l’air tropical se propager au pôle Nord. Dans le cadre d’une étude internationale à laquelle a participé Xavier Fettweis, chargé de cours à l’ULiège et directeur adjoint de l’unité de recherche SPHERES, des scientifiques ont établi un lien entre ces perturbations atmosphériques et la perte de masses des glaciers de l’Arctique.
Les glaciers norvégiens fondent en décalage
En exploitant des données satellitaires et des modèles régionaux du climat, l’équipe a réalisé les bilans de masse de plusieurs centaines de glaciers situés au nord de l’Arctique canadien et au Svalbard, l’archipel norvégien situé dans l’océan Arctique.
« Par nos analyses, nous avons constaté que la variabilité interannuelle des bilans de masses était corrélée entre les deux régions jusqu’aux années 2000 », informe le Pr Fettweis. En clair, la fonte des glaciers était notée des deux côtés lors des étés chauds.
Mais en suite des années 2000, quand d’importantes pertes de masse étaient mesurées au Canada durant les étés chauds, le Svalbard enregistrait, quant à lui, de faibles pertes, et inversement. Un changement qui s’explique par le fait que « les deux régions ne sont plus balayées par les mêmes masses d’air ». En cause ? Les oscillations du jet-stream de l’hémisphère Nord.
Le réchauffement de l’Arctique détraque le jet-stream
En temps normal, c’est-à-dire lorsque les différences de température entre les pôles et l’équateur sont grandes, ce jet-stream est stable et ondule peu. Or, avec le changement climatique, l’Arctique se réchauffe. Et même trois fois plus vite que le reste de la planète.
Par l’augmentation des températures, la glace de mer et celle qui recouvre les glaciers et la calotte du Groenland disparaissent. La région réfléchit ainsi moins la lumière du soleil, et absorbe plus de chaleur. Ce qui aggrave encore la fonte de la glace.
« Il fait donc de plus en plus chaud aux pôles, alors que la température à l’équateur ne change quasi pas. La diminution de ce contraste thermique a pour effet d’augmenter le nombre et l’amplitude des oscillations du jet-stream de l’hémisphère Nord, tout en le ralentissant », résume le chercheur.
Lorsque l’ondulation s’amplifie, l’air polaire peut circuler loin vers le sud, et l’air chaud de l’équateur se déplacer aux pôles. En outre, les masses d’air se déplacent plus lentement, voire restent stationnaires. Tout cela engendre des conditions climatiques inhabituelles durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, comme de la neige à Rome, ou une canicule en Sibérie.
Un taux de fonte sous-estimé par les modèles climatiques ?
En Arctique, ces variations du jet-stream ont pour conséquence d’augmenter les occurrences d’anticyclones au-dessus de la calotte du Groenland (et dans le nord du Canada), surtout en été.
« Ces derniers induisent des conditions très ensoleillées et des vents particulièrement faibles et chauds, venus des tropiques, qui contribuent à amplifier la fonte des glaciers. En revanche, ces anticyclones génèrent sur le flanc est un vent du nord vers le Svalbard, dont la fonte s’en trouve diminuée. »
Selon l’étude, cette circulation nord-sud est devenue de plus en plus fréquente au cours des deux dernières décennies. Ce qui indique que le dégel des glaciers pendant l’été est de plus en plus contrôlé par ces variations atmosphériques.
Le record de fonte au Groenland en 2019 a d’ailleurs été imputé aux conditions anticycloniques qui ont prévalu sur la région cet été-là.
« Si ce changement dans la circulation atmosphérique se poursuit à l’avenir, la disparition de la glace en Arctique sera alors multipliée par 2 », soutient Xavier Fettweis. « Son impact sur la région pourrait même être plus important que celui lié à l’augmentation des températures. »
Pour l’heure, l’influence du jet-stream n’est pas prise en compte par les modèles climatiques. Aussi, le taux de fonte à venir pourrait être sous-estimé. Déterminer les mécanismes qui engendrent ces modifications de la circulation atmosphérique sera essentiel pour améliorer les projections du climat.