Des Bermudes à la Nouvelle-Zélande, elles peuplent les marais maritimes de plus de 120 pays tropicaux et subtropicaux. Les racines ancrées dans la boue inondée deux fois par jour, lors des marées, les forêts de mangroves sont les seules au monde à pousser dans l’eau salée.
Bien que leurs bienfaits pour la nature et la société soient uniques en leur genre, ces écosystèmes sont fréquemment détruits. Au point d’être en danger d’extinction dans certains pays. Mieux gérer et restaurer ces forêts est l’objectif des travaux de Farid Dahdouh-Guebas, chercheur au laboratoire ecology and biodiversirty à la VUB, et directeur de l’unité de recherche écologie des systèmes et gestion des ressources à l’ULB.
Un déboisement au profit des crevettes
La principale raison de la disparition des mangroves? La déforestation. Certains pays exploitent ces massifs, soit pour le bois de chauffage, soit pour le bois de construction. Mais le plus souvent, les forêts de mangroves sont détruites pour y installer des bassins d’aquaculture, surtout de crevettes, lesquelles sont vouées à l’exportation.
« Ces zones humides sont aussi parfois déboisées pour planter d’autres arbres, comme des palmiers à huile, destinés à fabriquer l’huile de palme. Ainsi que pour y construire des routes et des infrastructures touristiques, comme des hôtels », indique le Professeur Dahdouh-Guebas.
Aussi, selon l’UNESCO, les mangroves disparaissent trois à cinq fois plus vite que les pertes forestières mondiales globales. Avec des impacts écologiques et socio-économiques graves.
Un lieu où les poissons déambulent sur les branches
Leur disparition représente une perte notable pour la biodiversité. « Les arbres composant les mangroves sont rares. Étant adaptés à un milieu particulièrement hostile, on en compte très peu d’espèces. Leur mode de reproduction est, de plus, assez unique dans leur monde végétal : leurs graines germent sur l’arbre-parent, et non en terre, comme c’est le cas chez la plupart des végétaux », précise le scientifique.
Par ailleurs, ce biotope abrite une faune singulière. Pendant la marée haute, on peut y retrouver des requins, des crocodiles, et diverses espèces de poissons. « Il en existe une que l’on ne trouve que dans cet écosystème : le périophtalme (ou Poisson grenouille). Son environnement évoluant sans cesse au gré des marées, ce poisson a évolué de manière à être capable de se déplacer dans l’eau, sur l’eau, et même de grimper sur les racines des arbres. »
Aux marées basses, de nombreuses espèces d’oiseaux s’installent dans la mangrove, ainsi que des singes, ou encore des serpents. Au Bangladesh, les mangroves représentent l’un des derniers refuges des tigres du Bengale.
Écouter les locaux pour développer des solutions
Le fait que ces forêts soient l’habitat d’animaux considérés comme dangereux a, en partie, conduit les locaux à voir d’un mauvais œil ces zones humides. Ce qui a eu, et a encore aujourd’hui, un impact sur leur conservation, d’après le Pr Dahdouh-Guebas et ses collègues.
« La manière dont les autorités, les exploitants et les habitants, parlent de ces forêts détermine la façon dont elles seront sauvegardées. Si leurs apports sont jugés négativement, leur destruction sera davantage légitimée. Aussi, étudier les relations entre l’humain et les forêts de mangroves est au cœur de mes recherches », développe le scientifique. « En identifiant les activités des populations locales dans la forêt, et en prenant en compte leurs avis sur sa gestion, on peut alors proposer des solutions adaptées afin de mieux gérer cet écosystème, et ainsi de le préserver.»
Les chercheurs espèrent ainsi amener les pays à mangroves à soutenir, indépendamment, la protection de ces écosystèmes uniques. En parallèle, les scientifiques misent aussi sur l’éducation de la jeune génération. Car au-delà des biens fournis (poissons, bois de chauffage, bois de construction, etc.), les mangroves rendent aussi service aux communautés humaines.
Des forêts qui protègent des ravages naturels
À l’interface entre la terre et la mer, ces forêts ralentissent l’érosion naturelle des côtes. D’autre part, leur présence casse l’énergie des vagues, en cas de forte houle, de tsunami ou d’ouragan. « Des études ont établi que, face à un massif de mangroves de 100 mètres de large, une vague d’un mètre sera réduite à 5 cm », atteste le Pr Dahdouh-Guebas.
En clair, la disparition des mangroves rend les régions côtières plus vulnérables aux catastrophes naturelles. Cela a été démontré au Sri Lanka, après le tsunami de 2004, et en Louisiane, après l’ouragan Katrina : « Là où les mangroves avaient été déboisées, on a constaté davantage de dégâts », confirme encore le chercheur.
Et même à l’échelle mondiale, ces forêts jouent un rôle important. Bien qu’elles ne couvrent que 0,7 % de la couverture terrestre, elles sont capables d’absorber chaque année 13,5 Gigatonnes de CO2. Soit 14 % de la séquestration océanique.
« Les forêts de mangroves disposent d’un potentiel de stockage du carbone tout à fait exceptionnel, qui serait de 3 à 5 fois supérieur à celui des autres forêts. D’où l’attention particulière que l’on devrait tous accorder à leur sauvegarde », conclut le Professeur Dahdouh-Guebas.