La forêt tropicale reprend rapidement ses droits dans les savanes protégées

29 avril 2024
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Située au cœur de la chaîne de montagnes du Mayombe, la réserve forestière de Luki abrite une biodiversité importante. Elle est d’ailleurs classée depuis 1976 par l’UNESCO comme l’une des deux réserves de biosphère de la République démocratique du Congo (RDC). Mais la conservation de cette forêt tropicale de 33.000 hectares est, depuis plusieurs années, menacée par l’activité agricole et la demande croissante en charbon de bois.

De nombreuses parties de la réserve ont ainsi été déboisées et transformées en savanes artificielles par la coupe du bois et la culture sur brûlis. Elles sont ensuite régulièrement brûlées pour faciliter la chasse de gibier.

La restauration de ces savanes artificielles reste néanmoins possible. C’est en tout cas ce que montre le suivi d’une zone protégée depuis 2005 à quelques kilomètres au sud de la réserve. A travers une 3e campagne d’études, des scientifiques belges et congolais en apportent de nouvelles preuves.

Un terrain d’étude unique en RDC

On estime qu’une grande partie du potentiel mondial de restauration des forêts se trouve dans les savanes africaines artificielles. Cela permettrait de lutter contre la perte de biodiversité, tout en renforçant les capacités de stockage du carbone. Ce type d’initiatives reste toutefois limité, en raison du manque d’études sur le succès et la rapidité de la génération naturelle des savanes artificielles protégées.

C’est ici qu’entre en jeu le terrain d’étude situé dans la savane de Manzonzi, à proximité de la réserve de Luki. Depuis près de 20 ans, une zone de 88 hectares de cette savane est protégée des feux anthropiques, en accord avec les communautés locales. « En RCD, il n’existe actuellement pas d’autre zone étudiée comme celle-ci », fait savoir Brice Yannick Djiofack, doctorant à l’UGent ainsi qu’au Musée royal de l’Afrique Centrale, et premier auteur de l’étude.

L’objectif de cette recherche était de réaliser un nouveau suivi de la zone. « On dispose de données depuis 2010. Un second suivi a été effectué en 2014. Grâce à cette 3e campagne de terrain, réalisée en 2022, on en sait davantage sur la dynamique de l’endroit », indique Wannes Hubau, paléobotaniste et écologiste des forêts tropicale à l’UGent ainsi qu’au Musée royal de l’Afrique centrale, et coordinateur de l’étude.

Localisation de Luki en RDC – Google maps

Un rétablissement rapide de l’ancienne forêt

Ce suivi consiste à dénombrer et à identifier, au sein des parcelles d’inventaire, les essences des arbres morts et en croissance. Pour ces derniers, les chercheurs réalisent des mesures de leur diamètre et de leur hauteur. « On a collaboré sur place avec des botanistes de l’Institut congolais pour l’Étude et la Recherche Agronomiques (https://inera-rdc.cd/), notamment dans la planification des mesures et l’identification des arbres », précise Brice Yannick Djiofack.

Résultats ? Après 17 ans d’exclusion du feu (de 2005 à 2022), les chercheurs constatent une évolution impressionnante en termes de diversité des espèces. « On observe que la végétation de savanes est en train d’être remplacée par une végétation de vieilles forêts », témoigne le Pr Hubau. Ainsi, plus d’un tiers de la richesse en espèces des vieilles forêts est aujourd’hui rétablie. Avec un potentiel de restauration complète estimé à moins de 60 ans.

Le suivi de ce dispositif de recherche atteste que la protection d’îlots de forêts encore existants représente une approche pertinente à la restauration de savanes artificielles.

Plusieurs espèces indigènes

Pour les partenaires, cette démarche constitue aussi une alternative intéressante à la reforestation. « La plantation de nouvelles forêts dans des parcelles déboisées en RDC demande beaucoup de moyens (humains et financiers) pour, souvent, peu de résultats », déclare le Pr Hubau.

« L’un des grands problèmes dans les programmes de reforestation en RDC est de miser sur une seule espèce, généralement non-indigène, comme certaines variétés d’acacia ou l’eucalyptus, qui présentent l’intérêt de pousser très vite. Le seul objectif de ce type d’approche est d’augmenter la capacité de stock de carbone. Et encore, uniquement à court terme. Ces arbres ne sont pas faits pour pousser là-bas, et meurent au bout de quelques années. »

L’intérêt pour la biodiversité de cette approche est nul. Et cela n’apporte aucun bénéfice à la population. « Or, une restauration forestière réussie est aussi celle qui offre des avantages aux communautés locales. Dans le cas de la zone protégée, les personnes vivant à proximité profitent aujourd’hui du rétablissement de la faune. Le retour des abeilles, par exemple, leur permet de développer des activités d’apiculture », indique Brice Yannick Djiofack.

Agriculture sur brûlis – image libre de droit

Un 4e suivi programmé d’ici 2028

Le suivi de cette zone protégée a été réalisé dans le cadre du projet PilotMAB du Musée Royal de l’Afrique Centrale et financé par la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire du SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement.

Il vise, depuis 2019, à développer des activités de recherche, de formation et d’éducation dans les deux réserves de biosphère de la RCD : Luki et Yangambi. « Et une suite au projet – dénommée PilotMAB « plus » – est d’ores et déjà prévue pour la période 2024-2028. De quoi poursuivre l’étude de la zone protégée », conclut le Pr Hubau.

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