Impatience, peur, soulagement, enthousiasme… Toutes sortes d’émotions peuvent nous traverser à l’approche d’une étape importante de la vie, que cela soit l’arrivée d’un enfant, un déménagement, ou bien un changement de carrière. En psychologie, on parle d’anticipation émotionnelle. Michaël Parmentier, chercheur FNRS à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain et à l’Université de Lausanne, s’intéresse à l’anticipation émotionnelle ressentie lors des transitions professionnelles. Ses travaux ont notamment démontré que prévoir les conséquences du changement à venir, positives comme négatives, aide l’individu à mieux le vivre.
Les émotions éprouvées versus celles qu’on se projette d’éprouver
« L’anticipation émotionnelle se définit comme l’ensemble des réactions que l’on ressent à la perspective d’événements futurs. On en distingue deux types : les émotions anticipatoires, ce que je ressens ici et maintenant à la perspective de l’événement en question. Et les émotions anticipées, ce que je pense ressentir quand l’événement aura lieu », précise le Dr Parmentier.
Dans le cas d’un nouvel d’emploi qui n’a pas encore débuté, on peut éprouver de l’excitation, du doute, voire de l’anxiété à l’idée de quitter son poste. Mais ces émotions anticipatoires sont possiblement différentes de celles qu’on s’imagine ressentir le premier jour en fonction : satisfaction, soulagement, curiosité.
« Ce n’est pas parce que les émotions anticipatoires sont négatives que l’individu est incapable de s’imaginer heureux quand la transition sera faite », fait savoir le chercheur. « L’exercice peut d’ailleurs être un levier intéressant pour aider les personnes anxieuses à anticiper plus positivement les transitions de vie. »
Une stratégie cognitive pour faire face au futur
La raison pour laquelle nous anticipons émotionnellement le futur s’explique par le fait que l’humain a tendance à se tourner vers l’avenir, et que les émotions influencent beaucoup nos prises de décision. « Le regret, l’une des émotions anticipées parmi les plus étudiées, aura ainsi un impact sur notre comportement. Si on anticipe beaucoup de regretter un changement de situation (quitter son emploi pour un autre, par exemple), il y a plus de chance qu’on postpose la décision, ou qu’on se rétracte. »
Si la transition est inévitable, comme la fin de la scolarité, l’anticipation permettra d’y faire face plus efficacement. « Des études ont montré que plus un individu allouera de ressources cognitives pour se préparer émotionnellement à un événement futur, moins il devra faire d’efforts pour gérer la transition quand elle aura lieu.»
Le juste équilibre entre optimisme et pessimisme
Dans le cadre de sa thèse, défendue l’an dernier, le Dr Parmentier a tenté de montrer comment les individus anticipent certaines transitions éducatives et professionnelles. A savoir, le passage de l’école secondaire à l’enseignement supérieur, celui de l’enseignement supérieur au marché du travail, et le passage du chômage à l’emploi. Jusqu’ici, peu d’études avaient examiné les mécanismes psychologiques et cognitifs à l’œuvre lorsqu’on anticipe ces événements.
A l’aide de données récoltées via plusieurs questionnaires en ligne, auxquels ont répondu environ 8.000 participants, le Dr Parmentier a établi qu’il existe entre quatre et cinq profils d‘anticipation émotionnelle différents. « Environ un tiers des participants présentent un profil mixte, c’est-à-dire qu’ils développent des émotions à la fois positives et négatives en anticipant ces transitions de vie. Ce sont souvent ces personnes qui s’y préparaient le mieux. Ces résultats mettent en évidence l’importance des processus d’anticipation émotionnelle, mais aussi qu’il est utile d’adopter une approche préventive dans les écoles, les services d’emploi et les entreprises. »
Parmi les initiatives existantes, citons les cours ouverts et préparatoires pour les élèves du secondaire visant à préparer le passage aux études supérieures. La transition vers le premier emploi peut aussi être mieux appréhendée grâce aux stages de terrain ou d’observation. « Cela permettra de montrer aux personnes anticipant (trop) négativement la transition qu’il y aura également du positif à la clé, et inversement pour les personnes (trop) positives. »
La crainte de la retraite, une émotion contagieuse ?
Dans le cadre de son nouveau mandat de recherche FNRS, le scientifique étudiera une autre étape importante dans la vie professionnelle : le départ à la pension. « Des études indiquent très clairement que la retraite représente l’une des transitions professionnelles les plus anticipées émotionnellement. Certains n’attendent que ça, quand d’autres la redoutent des années à l’avance », note le psychologue.
La carrière professionnelle est souvent valorisée dans nos sociétés, et la pension représente la perte d’un statut. Elle peut donc être associée chez certains à l’insécurité financière, à l’ennui, ou à la solitude. Pour autant, d’autres la perçoivent comme une étape positive, synonyme de liberté et de plaisirs.
« Dans ce nouveau projet, je chercherai à savoir si les émotions anticipées et anticipatoires, positives comme négatives, peuvent être « contagieuses ». On sait, en effet, que la retraite est un grand sujet de conversation, et c’est encore plus vrai en vieillissant. On va donc analyser comment les émotions éprouvées à la perspective de cette étape sont partagées entre amis, entre collègues et en famille, et si ces échanges avec autrui influencent notre propre anticipation émotionnelle face à cette transition de vie », conclut le Dr Parmentier.