Au cours de ces 30 dernières années, le taux de risque de pauvreté a augmenté en Belgique. En 1985, il concernait 11,53% de la population. En 2016, 15,5%. Malgré l’omniprésence de la pauvreté dans les discours politiques. Et les actions publiques ou privées. Le sociologue Daniel Zamora Vargas reconstruit «Une socio-histoire de l’assistance en Belgique, 1895-2015» dans «De l’égalité à la pauvreté», aux éditions de l’Université de Bruxelles. Un prolongement de sa thèse de doctorat à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
«Notre approche s’ancre dans une socio-histoire afin de nous aider à reconstruire la genèse et les effets du nouveau gouvernement humanitaire de la pauvreté qui s’est lentement déployé depuis le milieu des années 1970», précise le membre du Germe, le Groupe de recherche sur les relations ethniques, les migrations et l’égalité de l’Institut de sociologie et de la Faculté de philosophie et sciences sociales de l’ULB.
La générosité renforce les inégalités
Le chercheur relève que les millions d’euros récoltés par l’émission Viva for Life de la RTBF contre la pauvreté touchant la petite enfance sont infiniment inférieurs aux importantes réductions des dépenses sociales dans certains secteurs.
«L’expansion du caritatif ou de l’humanitaire est ici le symbole non d’une extension de la solidarité, mais de sa limitation institutionnelle et publique au profit des initiatives privées. Elle s’accompagne souvent, paradoxalement, d’inégalités renforcées. À travers les mesures de l’accord de gouvernement dans les domaines de l’assurance-chômage, de l’index, de la santé ou des pensions, le gouvernement ne peut ignorer qu’il contribuera directement à une augmentation de la pauvreté.»
«En un peu plus d’un siècle, on est passé d’un système touchant jusqu’à 25% de la population et accompagnant une industrialisation particulièrement brutale à un système qui disparaît pour ainsi dire durant les Trente Glorieuses. Avant de se redéployer au tournant des années 1980.»
Le salariat est déstabilisé
Pour Zamora Vargas, cette évolution se trouve au carrefour de 3 grandes transformations de l’État social. La première concerne les frontières symboliques de l’ordre social qui déterminent les interactions entre les acteurs sociaux. La crise et le tournant des années 1980 déstabilisent l’organisation sociale et symbolique du salariat. Avec une augmentation du chômage. L’apparition de jeunes chômeurs, de sans domicile fixe, d’immigrés sans papiers.
«Les risques de dépendre d’allocations sociales sont désormais répartis de manière très inégale. Et cette inégalité favorise un déplacement de la conflictualité sociale.»
Depuis 1991, la 2e transformation coïncide avec l’effacement progressif des frontières entre l’assistance stabilisée à un niveau proche des allocations minimales. Et l’assurance-chômage qui continue de décliner. La différence entre les deux régimes est de moins en moins évidente du point de vue financier.
«Le chômage et l’assistance se convertissent en dispositifs de surveillance et de mise à l’emploi des inactifs. Cette évolution générale inversera par conséquent le mouvement historique de déclin de l’assistance amorcé depuis la fin du XIXe siècle.»
L’État cède du terrain
Lors de la 3e transformation, l’État cède du terrain au marché. Il ne régule plus l’économie au profit de la collectivité. Il se met au service des marchés. Il favorise l’investissement et les entreprises.
«La pauvreté s’intensifie à mesure que l’assistance s’étend à des catégories toujours plus larges. Le développement des politiques de lutte contre la pauvreté et d’extension de l’assistance n’a donc pas fonctionné comme un remède à une précarité oubliée par la société d’abondance et ses institutions. Mais a finalement accompagné sa généralisation et son extension aux strates inférieures du salariat.»
«Les trente dernières années ont été avec l’objectif de mener une lutte ciblée contre la pauvreté, un long démantèlement de ce projet démocratique», conclut Daniel Zamora Vargas. «Le néolibéralisme, loin d’avoir simplement attaqué les systèmes de protection sociale modernes, a aussi, plus profondément, transformé notre conception de ce qui est juste et de ce que pourrait être une politique sociale efficace. Et en phase avec les réalités économiques. De ce point de vue, plus que jamais, nous nous devons de renouer avec le projet d’émancipation qu’a pu constituer la sécurité sociale durant l’après-guerre.»