« Combat contre l’épidémie », « bataille sanitaire », « arme contre la propagation du virus »… Les propos guerriers se multiplient ces dernières semaines pour parler du Covid-19. Les virus sont présentés comme l’ennemi n°1. Pourtant, certains d’entre eux sont des alliés intéressants. Notamment dans la lutte contre le cancer.
Les réovirus, par exemple, possèdent la capacité d’infiltrer et de détruire les cellules tumorales. On parle de virus « oncolytique ». Un type de virus actuellement étudié par l’équipe de David Alsteens, chercheur qualifié FNRS et responsable du laboratoire NanoBiophysics au sein de l’Institut des sciences et technologies biomoléculaires de l’UCLouvain.
Quand les virus contrôlent les cellules humaines
Les scientifiques de ce laboratoire cherchent à mieux saisir les manières dont les agents pathogènes, comme les réovirus, interagissent avec les cellules humaines.
Pour rappel, un virus est une particule très petite (une centaine de nanomètres pour les plus grands) et très simple. Il est composé d’un matériel génétique protégé par une ou plusieurs couches de protéines. Contrairement aux bactéries, les virus ne peuvent pas survivre seuls. Pour se métaboliser et se reproduire, ils ont nécessairement besoin d’infecter un organisme vivant, bactérien, animal (incluant l’être humain) ou végétal.
« Pour se faire, la surface du virus s’accrochera aux cellules de l’hôte, et exploitera des récepteurs spécifiques à celle-ci. En les activant, le virus va « tromper » la cellule et l’inciter à le faire entrer en son sein. C’est ce procédé en particulier que nous étudions dans notre laboratoire », stipule le Pr. Alsteens.
Notons que chaque virus a ses cibles de prédilection. Aussi, les coronavirus s’attaquent aux cellules situées dans les poumons, quand les rotavirus (responsables de la gastro-entérite) s’introduisent dans les cellules des intestins.
« Une fois infiltré dans la cellule, le virus y déchargera son matériel génétique et tirera profit de la machinerie de la cellule pour le répliquer. Au bout de quelques heures, la cellule infectée aura créé des milliers de nouveaux virus. Pendant ce temps, le virus ira attaquer la cellule suivante, et ainsi de suite, jusqu’à rendre l’organisme malade », poursuit le virologue.
Un nouveau traitement anti-cancer à l’étude
En sortant de la cellule, certains virus ne feront pas de dégât, quand d’autres y laisseront une trace de matériel qui restera en latence. D’autres, encore, détruiront la cellule en la quittant. C’est le cas des réovirus.
Cette capacité à « tuer » la cellule est d’autant plus intéressante que ces virus ont la particularité de cibler de préférence les cellules tumorales. Il existe d’autres agents pathogènes capables de cibler ces cellules particulières. Mais les réovirus sont à ce jour les plus prometteurs puisqu’ils peuvent s’attaquer aux cellules malades que l’on retrouve dans environ 30% des cancers ! Des études sur ces derniers sont actuellement en phase clinique aux États-Unis. Et elles donnent déjà des résultats très encourageants.
Concrètement, le virus, à qui l’on aurait préalablement inhibé sa capacité à se répliquer, serait inoculé chez le patient de manière localisée. Une fois injecté, il irait infecter et détruire la cellule tumorale, pour ensuite disparaître naturellement car rendu incapable de se reproduire. Un procédé qui serait répété jusqu’à la destruction de toutes les cellules atteintes.
« Nous collaborons à ces recherches en analysant les mécanismes de liaisons des réovirus avec les cellules tumorales. Et ce, dans le but d’améliorer encore leur faculté d’interactions avec elles. Nous avons d’ailleurs récemment soumis un brevet pour une molécule qui augmente cette aptitude chez les réovirus », signale encore le responsable du laboratoire NanoBiophysics.
« Si l’on parvient à exploiter efficacement ce virus, nous pourrions traiter de manière très précoce les cancers, voire prévenir leurs apparitions », avance encore Pr. Alsteens.
Des virus encore trop peu étudiés
Ces récentes découvertes sur les réovirus sont d’autant plus passionnantes qu’on pensait encore il y a quelques années que ces pathogènes étaient complètement asymptomatiques. Depuis, leurs propriétés oncolytiques ont été découvertes.
Par ailleurs, des études tendent à démontrer que ces réovirus seraient responsables de la maladie cœliaque, plus connue comme l’intolérance au gluten.
« Il apparaît clair que beaucoup de choses restent encore à découvrir sur les virus. Mais il est aussi important de rappeler que ces avancées en virologie, qu’elles portent sur le développement de nouveaux traitements contre le cancer, ou sur l’élaboration de vaccins ou d’antiviraux, ne pourront pas se faire sans investissement. Or, il existe à ce jour encore trop peu de laboratoires étudiant ces pathogènes ».
« Dans l’imaginaire collectif, les virus sont plus ou moins inoffensifs, ce qui est vrai pour beaucoup de d’entre eux. Néanmoins, et on le voit bien aujourd’hui, certains représentent un réel danger. Historiquement, ces pathogènes ont toujours été moins étudiés que les bactéries, par exemple, et on peut espérer que cela va changer dans le futur», conclut le Dr. Alsteens.