Un long manche de bronze surmonté d’une tête de sanglier, gueule ouverte et dont les oreilles, énormes sont disproportionnées par rapport au reste de la tête. Un totem? Une trompette? Une arme? L’étrange objet, âgé de plus de 2000 ans et brandi par un Gaulois, est visible au premier étage du musée des Celtes, à Libramont. Et il surprend.
Un instrument de musique, symbole des guerriers gaulois
Cet objet, une reproduction moderne, est identifié comme un « Carnyx ».
Dans la vitrine du musée consacrée aux instruments celtiques, le Dr Tinaig Clodoré-Tissot, Ethnologue, Anthropologue et Spécialisée en Archéologie musicale, ecrit que ce Carnyx est un instrument de musique celtique, que l’on a pu reconstituer grâce, entre autres, à des découvertes archéologiques récentes .
En 2004, lors des fouilles de Tintignac, en Corrèze , plusieurs fragments de ce qui a été identifié comme des trompes gauloises ont été retrouvés. D’après les archéologues, inventeurs du site, ce sont les restes de sept « Carnyx », qui ont ainsi été exhumés. Un objet déjà connu grâce à des fouilles plus anciennes mais aussi grâce à des témoignages iconographiques
Depuis la fin du XIXe siècle, le Carnyx est en effet considéré comme un symbole des Gaulois, ces « farouches guerriers », qui grâce à leurs trompes de guerre, terrorisaient leurs ennemis.
Une interprétation que l’on retrouve sur la plupart des sites d’amateurs de la culture celtique et reprise par des « musiciens » qui ont fabriqué des « Carnyx » et en jouent.
Il y a carnyx et carnyx
Une récente recherche de l’historien et archéologue belge , le Dr Serge Lewuillon, ancien aspirant F.R.S.-FNRS et enseignant à l’Université de Picardie, a démontré que ce fameux « Carnyx », instrument de musique guerrier, était plus que probablement une invention.
“Pour faire court le terme lui-même est un hapax, un mot qui n’est attesté qu’une seule fois dans les textes anciens”. Carnyx apparaît dans un texte du 12e siècle apr. J.-C. et désigne une trompette galate (Celtes des Balkans). Elle y est décrite comme de toute petite taille, avec un pavillon orné d’une tête d’animal, et produisant un son aigu. Pas grand chose à voir donc avec les reconstitutions proposées.
Un instrument sans embouchure
Au milieu du XIXe siècle, un numismate fait le rapport entre cet hapax et quelques grands instruments représentés sur des monnaies romaines et quelques monnaies gauloises. Dans le contexte romain, ces trompes sont manifestement des trophées. Dans le contexte celtique, ce sont des enseignes qui n’apparaissent jamais dans des scènes guerrières.
Sauf une fois : sur un chaudron retrouvé démonté à Gundestrup au Danemark et représentant des scènes rituelles auxquelles participent des dieux et des héros celtiques. Un instrument donc, mais pas dans un contexte militaire. Et Serge Lewuillon ajoute qu’aucune fouille n’a permis la mise au jour d’aucune embouchure proprement dite, contrairement à ce que prétend Tinaig Clodorė-Tissot.
Venu des Balkans, adopté par des Grecs et repris par les Romains
Un objet correspondant à la description du « petit Carnyx » a cependant bien existé. La petite trompe décrite au XIIe siècle est connue dans les Balkans. On la retrouve sur des objets grecs des IVe et IIIe siècles av. J.-C. et enfin dans l’iconographie romaine. Mais il n’est jamais attesté du côté gaulois.
A force de vouloir faire correspondre la réalité (Vercingétorix en France, Ambiorix en Belgique) aux représentations qu’ils s’en font, les archéologues et les amateurs de « celtitude » ont ainsi créé un mythe autour d’un objet qui n’a plus que probablement jamais existé dans la société gauloise.
C’est le propre de la critique historique moderne de démonter ce genre de construction. Et c’est le propre des institutions scientifiques de tenir compte des avancées de cette critique. Du coup, au musée des Celtes de Libramont, un petit texte, rédigé par Serge Lewuillon, accompagnera bientôt la vitrine au Carnyx.
« Le carnon (et non carnyx, mot grec artificiel) est une trompette née chez les Galates deux siècles avant Ambiorix. Sur les monnaies et les monuments romains, elle apparaît en trophée ; sur les pièces celtiques, elle figure une enseigne militaire – loin de la grande trompe sonnante ici reconstituée ».
Bien d’autres mythes pourraient ainsi être démontés, dont le moindre n’est certainement pas celui d’Obélix le Gaulois livreur de menhir (des pierres néolithiques étant, au moins 2000 ans, antérieures à l’époque des aventures d’Astérix et Obélix). C’est d’ailleurs un des rôles que se donne le Musée des Celtes comme en en atteste le site du Musée.
Ecoutez Julie Cao-Van, archéologue en charge des activités pédagogiques au Musée des Celtes, à ce propos.
Et fondamentalement, c’est cette volonté de comparer les mythes historiographiques avec la réalité des textes et des sources qui a été à l’origine du travail de Serge Lewuillon.
Libramont, nécropole celtique
Pourquoi Libramont, petite ville, carrefour ferroviaire de l’Ardenne belge, dispose-t-elle d’un musée des Celtes?
Parce que la région fourmille de vestiges celtiques : 600 tombelles, ces tertres de terre qui peuvent recouvrir une ou plusieurs sépultures, y ont été identifiées. Ces tombelles sont riches en matériel archéologique. Elles nous éclairent sur la vie quotidienne et les rites de « nos ancêtres les Gaulois » au début du 5e siècle av. J.-C..
Les fouilles réalisées dans la région ont ainsi permis de mettre au jour les restes du charriot à deux roues, dont César parle dans la « Guerre des Gaules ». C’est aujourd’hui l’emblème du Musée.