Le Professeur Steven Laureys montrant l’impression 3D de son propre cerveau © Michel Houet / CHU Liège

La conscience aux limites de la science

30 juin 2021
par Michel Claessens
Temps de lecture : 7 minutes

« La conscience est peut-être une propriété fondamentale de la nature, universelle donc. Elle est présente chez l’homme bien sûr, mais aussi chez les animaux et – qui sait ? – dans la matière inerte. Après 25 ans de recherche sur le cerveau, j’avoue être aujourd’hui moins dogmatique et plus ouvert », explique Pr Steven Laureys lors de notre interview virtuelle.

Neurologue au CHU de Liège et directeur de recherches au FNRS, Steven Laureys est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la conscience et du cerveau, qu’il dissèque de façon non-invasive grâce aux outils de la science et de la technologie. Auréolé de nombreuses récompenses, dont le prestigieux prix Francqui reçu en 2017, le scientifique belge fait le point sur les dernières recherches menées dans le projet européen « Luminous », qui s’est terminé l’année dernière.

« Ce projet nous a permis de travailler avec des partenaires extraordinaires et d’approcher la conscience de façon pluridisciplinaire. Nous avons apporté notre expertise du cerveau blessé et travaillé avec des spécialistes du rêve, de l’anesthésie, de la méditation, etc. Le projet nous a aussi donné accès à l’intelligence artificielle et à une formidable puissance de calcul, grâce à une coopération avec le Human Brain Project et son successeur, EBRAINS. »

On devine que cette coopération européenne a permis d’engranger une riche moisson sur le plan scientifique bien sûr, mais également technologique (l’étude détaillée du cerveau requiert des instruments sophistiqués) et humain. Toutefois, malgré ces avancées déterminantes, la conscience est encore loin d’avoir dévoilé tous ses mystères. Les chercheurs ciblent en particulier deux corrélats neuronaux situés dans les lobes frontaux et temporaux du cerveau et impliqués dans la conscience intérieure et celle, extérieure, liée à la perception sensorielle.

Un « éveil non répondant »

Les recherches sur la conscience et le cerveau ont progressé notamment grâce aux travaux sur les états de « coma végétatif » et de « conscience minimale » étudiés dans l’Unité GIGA Consciousness, créée par Steven Laureys en 2007 avec Aurore Thibaut et Olivia Gosseries.

Le vrai défi, dans le cas de patients ayant sombré dans le coma, est de savoir s’ils sont, ou non, conscients, alors qu’ils ne peuvent pas communiquer. 40% des patients se trouvant dans un coma dit végétatif sont en réalité conscients. Ces personnes continuent à ressentir des émotions et à souffrir. Les recherches ont permis à Steven Laureys de définir un protocole unique pour déceler les signes de conscience chez les patients plongés dans le coma. Et de recommander en 2010, dans une publication scientifique qui fit du bruit, de parler d’« éveil non répondant » et non plus d’« état végétatif », une proposition récemment adoptée par les académies de neurologie européenne et américaine.

Les pulsations électriques du cerveau enregistrées par l’EEG (électroencéphalogramme) reflètent nos états de conscience

Stimuler la conscience

« Il y a, bien sûr, des états dans lesquels la conscience semble absente, comme le sommeil profond et le coma pharmacologique », poursuit Steven Laureys. « En revanche, nous avons pu montrer que les bébés et les fœtus montrent des signes de conscience. Au cours de l’une de mes conférences TEDx donnée en 2017, j’ai présenté des images du cerveau de mon petit garçon dont le cortex, à 40 semaines dans le ventre de sa maman, détecte des signaux, s’active et est capable de mémoriser. La conscience, ce n’est pas tout ou rien. »

Le coordinateur du projet Luminous, Aureli Soria-Frisch, un ingénieur responsable des neurosciences au StarLab de Barcelone, souligne les résultats obtenus sur le plan médical : « Nos travaux ont montré que 15% de patients ayant perdu la conscience, suite à un accident par exemple, peuvent en récupérer une partie après des stimulations électriques du cerveau. Il existe, en réalité, plusieurs états de la conscience, comme nous en faisons tous l’expérience. Des progrès obtenus grâce à ce projet qui nous a permis de rassembler des équipes complémentaires. Ce fut une collaboration fantastique. »

Au sujet des procédures de la Commission européenne, réputées fastidieuses, Aureli Soria-Frisch répond très franchement : « Il s’agit d’argent public, il est normal que des contrôles et des évaluations aient lieu. Ceux-ci ne sont pas plus rébarbatifs que dans les financements nationaux. A mes yeux, la politique européenne de la recherche est l’une des grandes réussites de l’Europe, car celle-ci génère une véritable valeur ajoutée. »

Conscience animale et Déclaration de Cambridge

Ces recherches ont également permis de montrer que certains animaux comme les primates, mais également les chiens et les chats, possèdent une conscience, certes différente de la nôtre, mais qui leur permet de ressentir des émotions. Ainsi, les chimpanzés et les bonobos se reconnaissent dans le miroir.

Mais notre culture et nos lois considèrent encore les animaux comme des objets – on parle d’instinct et de réflexes, plus rarement de conscience. « Nous avons été un peu arrogants », dit Steven Laureys, qui pose cette question fondamentale : « Qu’est-ce qui est le propre de l’homme ?  Certains animaux, malgré l’absence de néocortex, ont une forme de conscience. Tel est l’objet de la Cambridge Declaration on Consciousness signée en 2012. »

Quel énorme paradoxe ! C’est donc au sujet du cerveau que l’homme, pourtant si fier de son intelligence, et la science semblent progresser le plus lentement. « C’est vrai, il y a eu une sous-estimation historique de la conscience », résume Steven Laureys. Et rappelons-nous qu’à l’époque de Broca, il y a un peu plus de cent ans, les scientifiques se demandaient encore si les femmes étaient douées de raison…

Steven Laureys et le moine bouddhiste Matthieu Ricard, traducteur du Dalaï Lama, également ancien généticien de l’Institut Pasteur à Paris © Michel Houet / ULiège

Le pouvoir de la méditation

Allons donc au bout de notre parcours : la conscience existerait-elle dans des systèmes inanimés ? « Selon la théorie de l’information intégrée de Giulio Tononi, le niveau de conscience d’un système comme le cerveau est lié aux interconnexions que l’on retrouve dans ce réseau. Plus nombreux seront les neurones à interagir les uns avec les autres, plus l’organisme aura une expérience consciente complexe et va ressentir « l’effet que ça fait » d’être ce système. D’après cette interprétation, des systèmes inertes pourraient donc également posséder une forme de conscience. »

Mais Steven Laureys n’est pas seulement un scientifique à la pointe de la recherche, il est également un vulgarisateur très actif dont les deux derniers livres, « Un si brillant cerveau – les états limites de conscience » et « La Méditation, c’est bon pour le cerveau », publiés chez Odile Jacob, ont été très appréciés du public.

De la conscience à la méditation, la ligne est toute tracée. « Mais je l’ai découverte trop tard », regrette Steven Laureys. « Ce que réussissent les moines bouddhistes est remarquable, ce sont de véritables athlètes de la pensée. Mais je montre dans mon livre que nous pouvons tous bénéficier des effets positifs de la méditation sur notre corps et sur notre esprit. »

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