La police secrète allemande traque les Belges qui résistent aux envahisseurs

30 juin 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« La police secrète de la Wehrmacht en Belgique », par Louis Fortemps et Vincent Gabriel. Edition Weyrich. VP 25 euros

De 1940 à 1944, la Belgique a subi les affres de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation par l’Allemagne nazie. «Rien ou presque rien n’a été écrit sur un des principaux acteurs de cette terrible période, la Geheime Feldpolizei (GFP), police secrète de l’armée allemande», constate Emmanuel Debruyne, professeur en histoire contemporaine à l’UCLouvain. «Les travaux de Louis Fortemps et Vincent Gabriel nous offrent aujourd’hui une réelle enquête historique.»

«Non sans audace, les deux auteurs de «La police secrète de la Wehrmacht en Belgique», publié par la maison d’édition Weyrich, avaient entrepris de s’intéresser à la GFP dans le cadre de leur master à l’UCLouvain. Les mémoires qu’ils ont élaborés, en parallèle mais sur base de sources très différentes, ont tous deux été défendus en 2019. Et très positivement appréciés par leurs jurys respectifs, qui dans un cas comme dans l’autre ont avancé l’idée qu’un tel travail méritait d’aboutir à une publication.»

Sauvagerie et sadisme

Déjà présente pendant la Première Guerre mondiale, la GFP se propage en Belgique dès les premiers jours de l’occupation nazie. «Sa spécialité deviendra rapidement la lutte contre la Résistance, en particulier contre les espions et les saboteurs œuvrant au service des Alliés», précisent les chercheurs. La GFP est toute puissante. Ses membres récompensent la délation. Ils interceptent le courrier postal des suspects. Ils perquisitionnent. Ils arrêtent des civils, les équipages des avions abattus. Ils torturent. Ils exécutent des otages.

Les recherches de Fortemps et Gabriel se focalisent sur les GFP 530 et 648 de Bruxelles et de Liège. Elles analysent les liens de la police secrète avec d’autres acteurs de la répression. L’Abwehr, le contre-espionnage. La Sipo-SD, connue par une de ses sections, la Gestapo. Et les collaborateurs belges. Appelés Vertauensleute ou V-Leute, hommes de confiance, ces indicateurs agissent, le plus souvent, par choix idéologique ou appât du gain.

Des oreilles et des yeux grassement payés

Selon les chercheurs, Prosper Dezitter cristallise la capacité de nuisance des V-Leute à l’encontre de la Résistance. Poursuivi pour vol, viol et fraude, ce natif de Passchendaele, près d’Ypres, se met au service des Allemands dès les premiers mois de l’occupation. Il collabore à la GFP 530 de Bruxelles. Infiltre des réseaux de renseignement, des filières d’évasion. Crée une fausse filière qui mène les résistants aux geôles allemandes. Ce collaborateur se fait grassement payer. Interpellé plusieurs fois par la police belge, il bénéficie de l’intervention de la GFP pour se faire libérer.

À la Libération de la Belgique, Dezitter fuit en Allemagne. Se met au service des autorités d’occupation étatsuniennes sous un faux nom. Jugé par le Conseil de guerre de Bruxelles en 1947, il est fusillé. Comme sa maîtresse et ses complices.

En 1944, l’occupant n’arrive plus à protéger ses collaborateurs. «Las de subir les attaques de la Résistance, ces derniers décident de riposter dans un nouveau déchaînement de violence», expliquent Louis Fortemps et Vincent Gabriel. «Depuis 1943, ils constituent des milices pour protéger les leurs. En Flandre, le Veiligheidskorps, le corps de sécurité, De Vlag se distingue sinistrement tandis qu’en Wallonie, c’est le Département sécurité et information (DSI) du parti rexiste qui occupe une place centrale.»

«Ce dernier contrôle des unités tristement célèbres comme la fameuse bande Duquesne à La Louvière. Ou la Brigade D, qui officie à Liège. Isolés du reste de la population, ces hommes entament une coopération étroite avec la GFP. Leur colère éclatera finalement dans un ultime déchaînement de violence à l’été 1944.»

Le mythe d’une GFP propre

Le débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, rend la Résistance plus hardie. Le 8 juin, en province de Hainaut, à Écaussinnes, un déluge de feu s’abat sur le véhicule du numéro deux du contre-espionnage allemand à Bruxelles enquêtant sur une cache d’armes. L’officier et des hommes de la GFP 530 sont tués. Le lendemain, des centaines de soldats investissent le village. Quatre personnes sont abattues, sans sommation, pour ne pas avoir obtempéré assez rapidement aux ordres. Nonante-six hommes sont pris en otage et déportés en Allemagne.

Après la Libération, peu de policiers de la GFP sont inquiétés. Le mythe de la «GFP propre» rejoint celui de la «Wehrmacht propre». Réfuté par les historiens allemands dans les années 1990.

«L’étude de cette police nous éclaire davantage encore sur les pratiques et les méfaits de la répression sous l’Allemagne national-socialiste», concluent Louis Fortemps et Vincent Gabriel. Le doctorant à l’Université de Lille, à la KULeuven et l’assistant à l’UCLouvain encouragent d’autres chercheurs à approfondir notre connaissance de ces pages terribles de notre histoire.

Haut depage