Au Texas, Simon Jusseret oscille entre Âge du Bronze et rock classique

30 juillet 2018
par Céline Husson
Temps de lecture : 8 minutes

SERIE (6/6) WBI donne des ailes aux chercheurs

Si le Texas n’est pas, a priori, l’endroit du monde où l’on penserait à se rendre pour étudier les sociétés de la fin de l’Âge du Bronze en Méditerranée orientale (soit aux environs de 1200 av. J.-C.), c’est pourtant là que Simon Jusseret, géoarchéologue, a posé son microscope.

Le jeune chercheur attaché au groupe de recherches Aegis (Aegean Interdisciplinary Studies) de l’UCLouvain vit au Texas depuis deux ans et demi, afin de poursuivre un projet dans le domaine de la géoarchéologie et… de profiter des nombreuses attractions offertes par Austin, siège de l’Université du Texas (UT) et capitale mondiale de la musique live (c’est en tout cas ce que les Austinites ont décidé).

"Austin City Limits", festival de musique prenant place chaque année à Austin, un peu la version locale de Werchter en Belgique © Simon Jusseret
“Austin City Limits”, festival de musique prenant place chaque année à Austin, un peu la version locale de Werchter en Belgique © Simon Jusseret

Pourquoi le Texas

« Austin est connue comme l’une des villes phares de la culture blues américaine, au même titre que Chicago, Memphis ou la Nouvelle-Orléans ! J’ai vite sauté le pas en arrivant et j’ai commencé à prendre des cours de musique et d’harmonica », explique le scientifique.

Mais si Austin possède certes de nombreux arguments culturels, c’est surtout la présence du professeur Arlene Rosen à l’Université du Texas qui va influencer son choix de résidence. Grâce à une bourse Fulbright Belgium et un financement WBI.World, il peut rejoindre au Texas le laboratoire de cette géoarchéologue qu’il avait rencontrée en 2011 lors d’un séminaire à Louvain-la-Neuve, quelques jours à peine avant la défense de son doctorat.

« Je travaillais déjà à l’intersection de l’archéologie et de la géologie, ce que l’on appelle la géoarchéologie, mais c’est le Pr Rosen qui m’a initié à ce qui deviendra ma spécialisation : l’étude des phytolithes, ces particules siliceuses microscopiques produites par les plantes tout au long de leur vie. »

Une période trouble

Après un doctorat consacré à l’étude des relations entre la société minoenne (un terme désignant les populations de l’île de Crète au cours de l’âge du Bronze, soit entre 3000 et 1200 av. J.-C) et l’environnement côtier crétois, il prolonge ses recherches dans le cadre d’un postdoctorat. « Je me suis intéressé à un aspect spécifique de l’environnement crétois : les tremblements de terre, et leur rôle possible sur la fin de la civilisation minoenne. » Cette recherche s’est prolongée jusqu’à l’année passée, avec la parution d’un ouvrage aux Presses universitaires de Leuven.

L’archéosismologie éclaire et protège

Son projet, soutenu en partie par Wallonie-Bruxelles International (2015-2017) prolonge cette enquête palpitante. « Mon but est de découvrir si le climat a joué un rôle dans le déclin des sociétés de l’âge du Bronze en Méditerranée orientale, en prenant pour exemple deux cas d’étude spécifiques : le site de Sissi en Crète et celui de Pyla-Kokkinokremos sur l’île de Chypre. Ces deux sites sont actuellement fouillés par mon groupe de recherches belge, sous la direction du professeur Jan Driessen. Mon angle d’attaque premier est celui des pratiques agricoles, étudiées par l’intermédiaire des phytolithes. »

La géoarchéologie, une discipline aux confluents

Afin d’alimenter sa recherche, il s’est rendu en Crète en 2016, et à Chypre en 2016 et 2017. « L’une des meilleures manières d’approcher l’impact des changements climatiques et environnementaux sur les sociétés du passé consister à étudier leurs pratiques de subsistance. Pour les civilisations de l’âge du Bronze en Crète et à Chypre, ces pratiques étaient largement basées sur la production céréalière et l’élevage. Les restes végétaux préservés sur les sites archéologiques constituent dès lors une source d’information capitale pour mes recherches ». Là où la majorité des spécialistes se concentre sur les restes botaniques observables à l’œil nu, Simon Jusseret, lui, cherche ceux qui ne le sont pas.

Sur le terrain à Chypre, fouilles de Pyla-Kokkinokremos © J. Bretschneider
Sur le terrain à Chypre, fouilles de Pyla-Kokkinokremos © J. Bretschneider

« Le travail sur le terrain est on ne peut plus simple : un sachet propre, quelques grammes de sédiment prélevés dans des contextes archéologiques judicieusement choisis, et voilà un échantillon prêt à être envoyé aux Texas. »

« Je me concentre particulièrement sur les lieux de stockage, les espaces ouverts, les structures de combustion (aires de cuisson, par exemple), les fosses, bref, tout endroit où les probabilités de trouver des traces microscopiques de restes végétaux sont élevées » Ces traces minuscules sont ce qu’on appelle des phytolithes.

« Leur avantage, face aux restes visibles à l’œil nu, c’est qu’ils sont souvent présents en quantité abondante dans des contextes a priori peu favorables à la préservation des restes macroscopiques. Les restes végétaux visibles à l’œil nu – charbon, graines, restes de fruits et autres tissus organiques – nécessitent des conditions spécifiques pour leur préservation en milieu archéologique. Les phytolithes sont généralement moins exigeants ! Leur étude est dès lors complémentaire de celle des restes visibles à l’œil nu. »

Squelette de silice

« Les phytolithes sont des particules minérales microscopiques qui se développent dans les tissus végétaux vivants, c’est un peu comme un moulage de tissus cellulaires, à l’intérieur des cellules, mais aussi entre les cellules de la plante. Ceux-ci se forment grâce à la silice (en réalité une forme soluble de celle-ci) absorbée par les racines. Certaines plantes – notamment les herbacées – déposent une partie de cette silice dans des lieux spécifiques de leur anatomie, notamment l’épiderme ».

Un exemple de phytolithe © Simon Jusseret
Un exemple de phytolithe © Simon Jusseret

Une fois la plante enfouie dans les sédiments archéologiques, les tissus organiques qui la composent sont, bien souvent, amenés à disparaître. Les phytolithes peuvent alors représenter les seuls témoignages de la présence de végétaux sur un site archéologique. « C’est un peu comme les fossiles : le squelette constitue souvent l’unique trace géologique d’un être vivant. Les phytolithes sont en quelque sorte le squelette siliceux des plantes, c’est la raison pour laquelle on les définit communément comme des microfossiles », compare le chercheur.

Pister nos ancêtres

Par l’intermédiaire des phytolithes, il est donc possible d’identifier ce que cultivaient ou mangeaient nos ancêtres.
« Ce que j’essaye de déterminer, c’est si les sociétés de la fin de l’âge du Bronze en Méditerranée orientale, c’est-à-dire aux environs de 1200 avant J.-C., ont eu recours à des pratiques agricoles influencées par une dégradation du climat. »

L’étude des échantillons prélevés sur le terrain se fait au microscope, ici dans le laboratoire du Pr Rosen © Simon Jusseret
L’étude des échantillons prélevés sur le terrain se fait au microscope, ici dans le laboratoire du Pr Rosen © Simon Jusseret

Les scientifiques pensent actuellement que le tournant des 13e et 12e siècles avant J.-C. a été marqué par une aridification du climat, au moins dans certaines régions de la Méditerranée orientale. « Ces sécheresses, si elles ont bien existé en Crète et à Chypre, ont-elles eu réellement un impact économique et social ? Si oui, il m’intéresse d’explorer les mesures prises par ces sociétés de l’âge du Bronze (ou l’absence de mesures !) afin de minimiser les effets négatifs des périodes de sécheresse. »

Par l’étude des phytolithes, il est notamment possible de déterminer l’usage préférentiel de certaines céréales, comme l’orge, qui est plus résistante à la sécheresse que le blé. « On peut aussi détecter la mise en place de pratiques d’irrigation. Les plantes qui ont été irriguées tendent à produire des grandes quantités de phytolithes. Une plante comme une céréale produira toujours les mêmes types de phytolithes, mais en produira plus ou moins, en fonction de son contexte de croissance. »

Entre blues et désert

Depuis le mois de septembre 2017, Simon Jusseret n’est plus couvert par la bourse WBI.World, mais il travaille toujours à l’Université du Texas.

À ses yeux, le Texas propose de nombreux avantages : des infrastructures de recherche de pointe, des groupes de recherches performants, une scène musicale du tonnerre et un patrimoine naturel extraordinaire. « Mon épouse et moi avons depuis toujours partagé un penchant pour les grands espaces, les déserts et le camping », raconte-t-il. « Quoi de plus naturel que de poursuivre cet intérêt en compagnie de notre fils qui, du haut de ses 10 mois, nous a suivis tout au long d’un périple qui nous a menés du Texas au Colorado, en passant par le Nouveau-Mexique ? Les tentatives désespérées de monter notre tente à toute vitesse dans l’obscurité et le silence absolu du désert, sous le regard intrigué de notre fils, rendu groggy par l’heure tardive, resteront des souvenirs marquants de notre vie aux Etats-Unis. »

Mesa Verde National Park (Colorado)
Mesa Verde National Park (Colorado)

Du côté des inconvénients, pour n’en citer qu’un, l’assurance maladie à 600 euros par mois… « On regrette la Belgique pour cet aspect-là ! », ironise Simon Jusseret. Qui se porte, ceci dit, parfaitement bien!

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