Éclaircir les mystères du monde microbien

30 octobre 2019
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

«La hantise du microbe ne permet pas de séparer le bon grain de l’ivraie», déplore Jean-Pierre Gratia, chercheur qualifié au F.R.S.-FNRS. «Ce qui est difficile à comprendre, c’est que n’importe quel microbe peut avoir des lubies. Les médias se trompent quand ils informent le public que l’enquête sur les diarrhées graves dans le nord de la France, ou même sur les accidents mortels en Allemagne, a permis d’identifier l’agent causal: un colibacille du nom d’Escherichia coli. Ce qu’ils ne précisent pas, c’est que les E. coli qui ont provoqué des maladies parfois mortelles sont des souches particulières de la même espèce, qui ont acquis des propriétés toxigènes. Le colibacille est un hôte normal de l’intestin et sert d’animal de laboratoire.»

«Comment la nature peut concilier l’homme et le microbe» par Jean-Pierre Gratia. Editions Edilivre – VP 24,50 euros – VN 4,99 euros.

Informatif et vulgarisateur, son essai «Comment la nature peut concilier l’homme et le microbe» s’éloigne des connaissances traditionnelles. Le collaborateur scientifique à la Faculté des sciences de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) au service Évolution biologique et écologie se penche sur l’évolution microbienne. Le mode d’action des antibiotiques. La décontamination de milieux pollués. Les effets neutres, bénéfiques ou pathogènes des bactéries…

Les bactéries transmises à l’enfant modèlent sa santé

On aurait identifié jusqu’à 10.000 espèces différentes de bactéries chez la totalité des humains. L’ensemble des micro-organismes (le microbiote) qui se trouve sur la peau, dans le cuir chevelu, les aisselles, la bouche, l’oreille externe, l’urètre ou le vagin est encore mal connu.

La génétique de chaque individu influence l’abondance de certaines bactéries. La composition microbienne dépend aussi de facteurs environnementaux. Son équilibre n’est pas le même à tous les âges. Il peut être renversé à cause du stress, de l’usage d’antibiotiques, du vieillissement, de mauvaises habitudes alimentaires. Chez la femme enceinte, les bactéries transmises à l’enfant modèlent sa santé future et son immunité.

Une importante flore microbienne est contenue dans le gros intestin des adultes… «Le microbiote intestinal crée un équilibre écologique en abritant un film d’organismes vivants, qui coévoluent avec leur hôte en participant à la résistance contre la colonisation de l’intestin par des microbes pathogènes», explique Jean-Pierre Gratia.

« Le microbiote intestinal contribue au bon fonctionnement du système digestif et du système immunitaire. Il concourt à la détoxication et stimule la motilité intestinale. Il peut influencer le traitement chimio- ou immuno-thérapeutique du cancer. Il régule les taux de sérotonine qui, jouant le rôle de neurotransmetteur et d’hormone, intervient dans les situations de stress, d’anxiété ou de dépression.»

Les vertus des matières fécales

Utilisée en médecine chinoise dès le IVe siècle, la transplantation de matières fécales est employée pour restaurer l’écologie microbienne et l’homéostasie bactérienne du colon. Elle réintroduit une flore bactérienne avec des selles provenant d’un parent en bonne santé.

«Environ 150 essais cliniques sont actuellement menés dans le monde sur les multiples usages de la transplantation fécale», note le docteur en sciences zoologiques de l’ULiège qui a participé aux enseignements de microbiologie médicale. «Certains éléments ou excréta de l’ensemble des micro-organismes d’un sujet jeune amélioreraient le fonctionnement du système immunitaire chez des personnes âgées.»

Moins de cancers colorectaux chez les Asiatiques

Les probiotiques (des bactéries et levures vivantes) sont bénéfiques pour compléter le microbiote intestinal. Dans le tube digestif, les bactéries utilisées dans la confection de yaourts et de fromages, les bifidobactéries ou bifidus et la levure Saccharomyces boulardii peuvent aider à prévenir et à soigner l’infection par des bactéries néfastes. Elles entrent en compétition avec les colibacilles. Les Asiatiques, plus végétariens, ont moins de cancers colorectaux que les Étatsuniens, mangeurs de viande.

La viande est un aliment important pour le colibacille Escherichia coli. «En laboratoire, dans les recherches faisant intervenir E. coli, on utilise en effet des milieux de culture riches en extraits de viande», précise Jean-Pierre Gratia. «Or, cette bactérie produit une enzyme qui dégrade les glucuronides. L’un d’entre eux est potentiellement cancérigène. Non dégradé, il passe dans les selles sans causer de dommages. Dégradé par cette enzyme, il traverse les villosités intestinales et provoque un cancer colorectal.»

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