Requin ardennais © Dmitry Bogdanov

Une mâchoire de requin ardennais révèle une étonnante conservation de ses tissus cartilagineux

30 novembre 2021
par Daily Science
Durée de lecture : 3 min

Ce fut une trouvaille exceptionnelle. Voilà une vingtaine d’années, une mâchoire droite d’un requin cténacanthe, vieille de 360 millions d’années, était mise au jour dans une carrière à Comblain-au-Pont, en Wallonie. Il s’agit de la plus ancienne occurrence de restes cartilagineux de requin en Belgique et dans toute l’Europe continentale. Une équipe de chercheurs, dont Sébastien Olive, paléontologue à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) a pu enfin l’étudier et la décrire.

Une étude ex-situ

Ce fossile a été donné à l’IRSNB en 2016, par des chercheurs hollandais, après sa découverte il y a plus de vingt ans. L’étude paléontologique a donc dû se faire ex-situ.

Cette mandibule a été trouvée dans un bloc isolé de grès dur difficile à replacer dans la séquence stratigraphique. « Mais on sait que la carrière dans la vallée de l’Ourthe présente des couches stratigraphiques datant du Famennien supérieur » dit Dr Sébastien Olive. « On conclut donc que ce requin vivait il y a environ 360 millions d’années dans un environnement marin franc. »

Fossile de mandibule de requin ardennais © IRSNB – Cliquez pour agrandir

Le défi de l’identification

L’état de préservation de ce fossile, mais aussi l’absence de dents qui pourraient soutenir la recherche, empêchent l’identification précise de ce spécimen. En effet, la taxonomie des requins de cette époque est surtout connue grâce à leurs dents, leurs écailles ou leurs épines. Toutefois, la mandibule, d’une taille de 22,5cm de long pour 8,5cm de haut, permet d’estimer que l’individu mesurait environ 1,8m de long. Il se nourrissait de petits poissons et d’autres animaux à corps mou.

Afin de tirer le maximum d’information de la mandibule, les chercheurs ont utilisé des rayons X qui ont permis de construire un modèle 3D de la mandibule et de distinguer l’arrière du fossile, jusque-là caché dans la roche.

 

C’est en comparant cette représentation avec d’autres spécimens tels que Cladodus elegans, Heslerodus divergens ou Ctenacanthus sp. que ce requin a été assigné à la famille des cténacanthidés, des requins qui pouvaient mesurer jusqu’à 2,5m.

Fossile de mandibule de requin ardennais © IRSNB – Cliquez pour agrandir

Ardenne pélagique

A l’époque de ce requin, au Dévonien supérieur, une large partie de l’Ardenne correspondait à un environnement marin franc dans lequel les placodermes, immenses poissons à mâchoires, dominaient.

Les requins ne pouvaient pas pleinement proliférer dans ce milieu. Car ils étaient des proies faciles pour les placodermes qui, eux, pouvaient mesurer jusqu’à 8m. Ce n’est qu’au Carbonifère (il y a entre 360 et 300 millions d’années), après l’extinction des placodermes, que les requins ont connu une extraordinaire diversification.

La présence de requins dans le Dévonien belge était déjà connue grâce aux nombreuses dents qui y ont été retrouvées : en effet, celles-ci, constituées de dentine et d’émailloïde, se conservent mieux dans les sédiments que le cartilage dont est faite la mâchoire, qui est une matière organique. Ce qui rend la découverte d’autant plus intéressante.

Requin cténacanthe se faisant attaquer par un placoderme © IRSNB – Cliquez pour agrandir

L’exceptionnelle conservation de cette mandibule reste inexplicable : les sédiments dans lesquels elle a été retrouvée (principalement du grès arkosique) ne sont habituellement pas propices à la conservation de cartilage. Celui-ci se dégrade normalement rapidement ou est consommé par des charognards.

« Il s’agit là d’un spécimen exceptionnel, qui ouvre peut-être la voie à d’autres découvertes dans cette région », conclut Sébastien Olive.

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