C’est en 2013, après l’attribution du prix Nobel de physique à François Englert et à son collègue britannique Peter Higgs, que Danielle Losman conçoit le projet de raconter des moments clés de la vie de son ancien professeur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). De sa naissance à son 80e anniversaire en 2012. Sa chronique «Il n’est pas de sagesse sans folie» paraît aux éditions de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. Les notions scientifiques sont définies simplement.
«Ce livre est écrit par une physicienne et littéraire qui a voulu que cette biographie garde la fraîcheur et la spontanéité des innombrables entretiens sur laquelle elle est bâtie», précise la physicienne française Nathalie Deruelle, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). «C’est une ode à l’univers magique de la physique, à l’intelligence, au rire et à l’amitié, à la résilience, à l’humanisme. »
Un étudiant peu ordinaire
Enfant d’émigrés juifs polonais, caché pendant la Seconde Guerre mondiale en région namuroise, François Englert entreprend des études d’ingénieur à l’ULB en 1950. Encouragé par son prof de maths à l’athénée royal de Koekelberg et par ses parents.
«En polytechnique, tout comme à l’athénée, François ne sera pas un étudiant modèle», raconte Danielle Losman. «Il brosse régulièrement les petits cours, mais parvient toujours à tirer son épingle du jeu aux examens.» François Englert rencontre Joseph Katz. Déçus par leurs études, ils s’orientent tous les deux vers la physique.
En 1955, le futur prix Nobel pour «la découverte théorique du mécanisme contribuant à la compréhension de l’origine de la masse des particules subatomiques» termine ses études d’ingénieur avec la plus grande distinction. En 1956, assistant au Service de mécanique rationnelle de l’ULB, il réussit brillamment sa première licence en sciences physiques. Sans jamais avoir suivi les cours, faute de temps.
Enfin la vraie physique
Assistant de Pierre Algrain, professeur visiteur à l’ULB, François Englert rédige avec le physicien français un livre sur les semi-conducteurs. Publiée en 1958, son introduction à la mécanique quantique et à la mécanique statistique expose les notions essentielles de la physique moderne.
Après sa participation à de nombreux séminaires dans des universités étatsuniennes, le docteur en sciences physiques est nommé chargé de cours à l’ULB en 1964. La même année, presque simultanément, Peter Higgs, François Englert avec Robert Brout proposent un mécanisme pour expliquer la masse des particules élémentaires. Le boson BEH, Brout-Englert-Higgs.
En 1982, le Pr Englert est encouragé par le prix Francqui, la distinction la plus importante en Belgique dont la limite d’âge est fixée à 50 ans. En 2004, il se voit attribuer, comme son ami Robert Brout et Peter Higgs, le prix Wolf. Le plus prestigieux après le Nobel.
L’intuition est un acte de création
«Lorsque dans les années 1960, François Englert et Robert Brout, ancien professeur à la prestigieuse Cornell University à Ithaca (New York), qui dirigera avec lui le Service de physique théorique à l’ULB, s’attaquent au problème du mécanisme à l’origine de la masse des particules élémentaires, aucun des deux n’est spécialiste ni des particules élémentaires, ni de la théorie quantique des champs qui n’était d’ailleurs guère populaire à l’époque», relève Danielle Losman. «Mais tous deux sont convaincus qu’une certaine naïveté prédispose à la créativité. Et qui pourrait leur donner tort? C’est, après tout, ce premier travail d’envergure qui récoltera le prix Nobel.» Alors que son ami Robert Brout est décédé.
«On pense souvent que la science avance grâce à une démarche déductive systématique. Il n’en est rien, me dit François. La pensée déductive joue son rôle à chaque palier du processus, mais le saut d’un palier à l’autre ne peut se faire que par un acte créatif, transcendant, une démarche non rationnelle, où l’inconscient joue son rôle. Et que le chercheur reconstruira a posteriori sur un mode rationnel…»
Scientifique à la contestation chevillée au corps, qui revendique une totale liberté d’agir selon ses convictions ou l’inspiration du moment, le Nobel de physique ajoute: «Les idées nouvelles sont souvent enfouies dans notre monde inconscient où les connexions sont libérées des contraintes de la vie quotidienne. L’intuition est un véritable acte de création. Et il arrive que l’on perçoive mieux le monde de la recherche fondamentale en écoutant un opéra de Mozart qu’en assistant à un cours académique.»
La Foire du livre de Bruxelles accueille deux académiciens. Le 31 mars à 19h, le secrétaire perpétuel Didier Viviers. Le 2 avril à 15h, le baron François Englert.