La démocratie est en danger

31 octobre 2014
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
   «Une nation nommée Narcisse» par François De Smet. Editions de l’Académie royale de Belgique,  collection «L’Académie en poche» (VP 5 €, VN 3,99€)
«Une nation nommée Narcisse» par François De Smet. Editions de l’Académie royale de Belgique, collection «L’Académie en poche» (VP 5 €, VN 3,99€)

La nation représente une menace pour la démocratie. En se perdant dans le passé. En vivant de promesses. En engendrant le nationalisme.
 
À l’ombre de l’Union européenne, le docteur en philosophie François De Smet demande aux citoyens d’estimer l’équilibre à maintenir entre l’ardente passion de la nation et la froide raison de la démocratie dans «Une nation nommée Narcisse». Ouvrage paru aux éditions de l’Académie royale de Belgique, dans la collection «L’Académie en poche».
 
Les nations restent le premier ingrédient des mouvements internationaux. Ni la précarité ni l’aisance ne protègent du nationalisme. Pour le collaborateur au Centre de théorie politique de l’Université Libre de Bruxelles,
 
«Le nationalisme est un amour illusionnel. Parmi les revendications nationalistes en pleine vigueur, il y a surtout des nouveaux riches qui voient dans la nation l’outil pour mieux maîtriser un destin économique et politique et garder des richesses que l’on estime mal utilisées, voire gaspillées au niveau central. La paix et la prospérité ne suffisent pas à faire disparaître le sentiment identitaire, si la représentation que l’on se fait de sa propre culture renvoie à une fragilité qu’il convient de protéger face à un extérieur perçu comme menaçant, englobant et envahissant.»

 

Régionaliser n’est pas la solution

 

Les États unitaires ont longtemps espéré contenir les mouvements nationalistes par des régionalisations. Par l’émergence de pouvoirs décentrés dont les compétences contenteraient les demandes identitaires. Leurre.

 

«Loin de se trouver satisfaits, les mouvements nationalistes utilisent ces acquis comme leviers pour revendiquer une reconnaissance encore plus forte. L’impression d’avoir à chaque fois affaire à des monstres impossibles à satisfaire, et dont la faim se renforce au fur et à mesure qu’on leur fournit davantage de nourriture, paraît ainsi confirmée par l’évolution des identités nationales pratiquement incapables d’arrêter leur propre mouvement, fut-il souple et démocratique. L’Écosse, la Catalogne, le Pays basque, la Flandre en sont des exemples frappants, au beau milieu d’un continent pourtant prospère et s’étant lancé dans une construction européenne postnationale.»

 

Pour François De Smet, il est intéressant d’observer les débats sur l’acquisition de la nationalité dans un pays comme la Belgique. Cet octroi doit-il récompenser un parcours d’intégration et en être sa finalité? Ou être une étape parmi d’autres qui participe à une dynamique d’intégration conçue comme un processus?
 
«Le fait qu’on puisse si aisément considérer que la nationalité soit un moyen d’atteindre l’intégration au lieu d’en constituer l’aboutissement atteste qu’en Belgique la nationalité est devenue une boîte à outils de droits et d’obligations et non une substance propre. Dans la plupart des pays où la nation renvoie à une identité forte, on ne songerait pas un instant à faire de la nationalité un outil plutôt qu’une fin.»

 

L’Union européenne est attaquée

 

Aujourd’hui, la construction de l’Union européenne est exposée à une double attaque. Le retour d’une série de nationalismes régionaux. Et son manque de ressort face aux défis imposés par la mondialisation.
 
Dans son livre, le philosophe remonte à l’origine de la crise de vocation de l’Union européenne. Il part de la période 1950 à 1991, construite autour d’une mise en commun pragmatique de moyens, pour arriver à l’après 1992 du Traité de Maastricht. Époque visant, sans vraiment le dire, à un projet postnational supposé unifier citoyens et institutions européennes dans un programme dépassant le libre-échange des biens et des services.

 

«C’est le début d’une aventure inédite, mais aussi d’ennuis dont les effets ne se font sentir qu’aujourd’hui. Les difficultés de l’euro rendent criante une crise de vocation d’une Union européenne dont les États membres, aujourd’hui, ne parviendraient sans doute plus à s’accorder par unanimité sur les objectifs et la direction. Les replis identitaires, qui s’expriment à présent sans gêne aucune, font constater que l’Union est devenue le nouveau bouc émissaire des narcissismes nationaux. La clé réside dans l’éducation des citoyens et dans leur faculté de se représenter la démocratie et la nation pour leurs avantages respectifs.»

 

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