Diagnostiqué « Asperger » à l’âge de 21 ans, le Français Josef Schovanec, 37 ans, n’aime pas être assimilé à cette sous-catégorie des personnes souffrant d’autisme. Et ce n’est pas la question de l’autisme dont il souffre qu’il souhaite éluder. Au contraire. Ce Docteur en philosophie et diplômé de l’Institut des Sciences politiques de Paris milite activement pour le respect et l’intégration des personnes autistes dans la Société. Un militantisme qui lui a valu voici quelques jours de recevoir les insignes de Docteur honoris causa de l’Université de Namur (UNamur), à l’occasion de la rentrée académique.
« Un concept lié à une histoire glauque »
« Pour moi, Asperger, cela ne signifie pas grand-chose », dit-il. « Je pense même que le syndrome d’Asperger est quelque chose qui ne devrait plus être utilisé. C’est un concept qui est médicalement fragile. Un concept lié à une histoire assez glauque, celle du nazisme ». (Le syndrome d’Asperger a été décrit en 1944 par le médecin allemand Hans Asperger aujourd’hui controversé). « Je préfère qu’on parle d’autisme. C’est plus intelligent comme approche. Cela permet de dire à toutes les familles que leur enfant peut avoir des perspectives, peut avoir une vie de qualité».
Que signifie dès lors pour le Dr Schovanec être « une personne autiste ». « Une personne autiste », c’est une formule comme une autre. On peut aussi dire simplement « autiste ». Ce n’est qu’un marqueur identitaire. Pour certains, l’autisme fait partie de la personne. C’est comme le lieu de naissance, la taille, la couleur de peau… Mais il faut faire attention à ce que cela ne réduise pas notre vision du monde».
Écoutez le Dr Schovanec préciser en deux minutes ce qu’il entend par « autiste ». Une description au cours de laquelle il dit aussi: « d’une certaine façon, peut-être que, être « normal », c’est cela le vrai problème … ».
Le voyage comme thérapie
Quand on lui demande où il habite, Josef Schovanec sourit. « Je n’habite pas vraiment quelque part », confie-t-il volontiers. « Mes parents habitent à Paris. Moi, je passe ma vie à me balader. Je n’habite donc pas vraiment quelque part. C’est une vie exigeante, mais riche en découvertes ».
Cette vie nomade est-elle pour lui une forme de thérapie? « Oui », concède-t-il. « C’est un concept à promouvoir. Pour beaucoup de gens autistes, relégués, en marge, le fait de voyager permet d’espérer de trouver un chez-soi. Il y a des cultures, des pays extrêmement accueillants. On peut donc trouver sa place quelque part. Il y a aussi des endroits du monde plus que fascinants, comme certains lieux désertiques où on peut passer sa vie à regarder le soleil se lever, puis se coucher ». Souhaiterait-il vivre dans un tel lieu? « Je n’en ai pas le loisir. J’ai trop d’engagements, trop d’obligations », répond-il.
Comme on le remarque dans les quelques extraits sonores proposés ici, son débit de parole est typé. « Parfois, on me dit que j’ai l’accent allemand », indique le Français. « A ce propos, permettez-moi de vous dire que je pense qu’il y a probablement plus d’autistes en Belgique que de Belges germanophones. Et c’est un autiste (également) germanophone qui vous le dit », détaille le Dr Schovanec.
Hyperglotte pour faciliter les rencontres
En réalité, le Dr Schovanec est un « hyperglotte ». Il parle couramment plus de huit langues. « L’important n’est pas une question de nombre », dit-il. « L’objectif en apprenant diverses langues est de faciliter les rencontres avec des personnes d’autres horizons culturels, d’horizons humains différents. L’univers intérieur devient plus riche quand on peut jongler mentalement entre plusieurs réalités, tracer des liens, remonter aux étymologies. Je pense que rien que cela est déjà suffisant pour enchanter la vie humaine ».
Maîtriser de nombreuses langues pour mieux comprendre le monde? Découvrez ici la réponse de Josef Schovanec.
« D’autres personnes me disent que j’ai plutôt l’accent suisse », reprend celui qui milite pour que les personnes autistes trouvent leur place dans la Société. « Permettez-moi à propos de ce pays de citer la fin du préambule de la Constitution suisse. Elle stipule que : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ».
« Je pense que c’est vrai. Y compris à l’Université, dont le sens premier du mot, médiéval, signifie ouverture, universalité, pluralité de genres… Cette pluralité concerne des gens avec différentes langues, différentes origines, avec des profils culturels différents. C’est ce brassage commun qui a permis de façonner l’Histoire de l’Europe ».
« J’espère que ce projet d’Université dans le sens premier du terme restera notre avenir humain commun. Comment recréer, redonner vie à cet idéal? Je pense que c’est là une tâche centrale pour le XXIe siècle. Cette construction ne pourra pas se faire sans les personnes elles-mêmes, les personnes comme nous, les personnes différentes, les personnes présentant des profils différents. L’Université homogène est une contradiction dans le terme d’université. Elle est hétérogène, elle est plurielle: c’est à ne jamais oublier».
Une université « Aspi friendly »
En France, on va déjà plus loin dans cette idée. L’Université de Toulouse a le projet de construire une université « Aspi friendly » (« amie des personnes Asperger »). Cette initiative est financée par le ministère français de l’Enseignement supérieur.
« Il s’agit de créer un cursus accessible à des étudiants autistes », explique le Dr Schovanec. « Ils sont actuellement une vingtaine à s’y être inscrits, principalement en mathématiques, en informatique et en physique théorique. L’Université de Toulouse propose à chaque étudiant autiste de suivre une formation aux côtés d’étudiants non autistes. Et ce en repensant le cadre de vie de l’étudiant, avec des ressources concrètes. Le but est de faciliter l’accès d’étudiants autistes à l’université. D’amener le plus d’étudiants possible à développer leurs compétences universitaires. Et de les mener vers la réussite ».
« Cette initiative est remarquable, même si elle n’existe que depuis un mois. Cela se passe dans une université publique, donc financièrement abordable pour ces étudiants. Il y a sans doute là de quoi aller une étape plus loin, en Belgique aussi », suggère Josef Schovanec. Un exemple à suivre pour l’Université de Namur, qui vient d’honorer une personne autiste d’un Doctorat honoris causa.
Ce 17 octobre, le Dr Schovanec sera de retour à l’Université de Namur. Il y donnera une conférence publique dans le cadre des « Grandes conférences namuroises ». Le titre de son intervention: « « Ce que nous devons aux marginaux ».