Le permafrost, aussi appelé pergélisol, se définit comme une terre qui reste gelée pendant plus de deux ans. Chaque été, sa couche supérieure, dite active, fond sur 30 à 100 centimètres, avant de regeler complètement en hiver. Mais cela pourrait très rapidement changer.
Depuis plusieurs années, les mesures de température du permafrost montrent une nette tendance au réchauffement. Selon les prévisions, un tiers du permafrost disparaîtra d’ici 2100. De quoi redouter un emballement du climat.
Comprendre et préciser les effets de ce dégel est l’objectif de quatre chercheurs de l’Université Catholique de Louvain, actuellement en mission pour trois semaines en Alaska. Dans cette région, le permafrost recouvre 85% du territoire.
Le cercle vicieux des régions du Nord
Le site étudié par les scientifiques, près du village de Healy, a été investi dès 2005 par des chercheurs de l’Université de l’Arizona (États-Unis), avec qui l’UCLouvain coopère. « C’est la deuxième fois que notre équipe y mène une mission de terrain » indiquent Elisabeth Mauclet et Arthur Monhonval, tous deux doctorants en sciences environnementales au Earth and Life Institute.
Profitant du dégel, ils récoltent quotidiennement des échantillons de terre, de végétation et d’eau de la rivière coulant aux abords du site. Le gel devrait revenir en octobre.
« Cette année est particulière car, avec le record de 32°C enregistré en juillet à Anchorage, le dégel de la surface a été accéléré et intensifié. On a accès à des sols qui n’avaient jusqu’alors jamais été dégelés » précise Arthur Monhonval.
L’Alaska subit un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne du globe. Et cela pourrait s’aggraver. La faute au cercle vicieux du permafrost feedback : « Étant donné que les températures du permafrost augmentent, celui-ci dégèle plus vite et plus profondément. Cette fonte entraîne la libération de gaz à l’effet de serre (GES), lesquels contribuent à leur tour à l’augmentation des températures, et ainsi de suite » explique Elisabeth Mauclet.
L’influence positive ou négative des minéraux
Le permafrost stocke de grandes quantités de carbone en piégeant de nombreuses matières organiques et végétales riches en carbone. Quand les sols dégèlent, des microbes se développent et dégradent ces matières, comme des aliments dans un congélateur en panne. Le carbone organique se métabolise en CO2 et CH4 (méthane), deux des principaux GES. « On estime que d’ici la fin du siècle, de 10 à 15 % du carbone organique présent dans le sol sera émis sous forme de CO2 » stipule Arthur Monhonval.
Et cela sans compter l’influence d’autres composants chimiques sur le phénomène, à savoir les minéraux. La fonte du permafrost provoque la libération d’éléments tels le calcium, le magnésium, le fer, ou encore le silicium. Leur champ d’action est encore peu étudié.
« Ces minéraux pourraient se lier aux matières organiques et végétales et ainsi stabiliser le carbone dans le sol, diminuant du même coup l’émission de GES. Mais ils pourraient tout aussi bien fournir des nutriments aux micro-organismes, entraînant leur prolifération. Ce qui amplifierait la libération de GES » développe le chercheur.
Des modèles climatiques plus précis
L’étude de ces minéraux se fera dans les mois à venir au départ des échantillons actuellement prélevés par l’équipe louvaniste. Ces analyses seront réalisées avec l’Université de l’Arizona et l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine (Allemagne).
Les carottes de terre serviront à mesurer les concentrations minérales dans le sol dégelé. « Nous comparerons ensuite ces données à celles de la mission précédente afin de voir s’il y a une évolution », informent les deux chercheurs.
Si ces minéraux se retrouvent surtout en surface, cela voudra dire qu’ils sont assimilés par les plantes et les micro-organismes. Si ce n’est pas le cas, cela signifiera qu’ils ont été lessivés par les eaux.
« Les analyses des échantillons d’eau et de végétation nous permettront de détecter leur présence dans l’écosystème. Les prélèvements de plantes nous seront également utiles pour observer leur évolution et prédire leur comportement futur ».
« Préciser l’influence de ce facteur minéral est essentiel si l’on veut améliorer les modèles de l’impact du dégel du permafrost sur les quantités de gaz à effet de serre émises dans l’Arctique » conclut Elisabeth Mauclet.