Ruée vers l’or, l’argent et le platine dans les égouts bruxellois

25 octobre 2019
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Depuis le mois de mars dernier, trois équipes scientifiques bruxelloises écument une étrange « mine urbaine ». Leur terrain de chasse? Les stations d’épuration de la Région de Bruxelles-Capitale et plus particulièrement leurs boues résiduaires.

Dans le cadre du projet de recherche Sublimus, financé par la Région bruxelloise via Innoviris, son agence de soutien à la Recherche et à l’Innovation, des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles, de la Vrije Universiteit Brussel et de Labiris (Institut Meurice/Ceria) tentent de voir dans quelle mesure, ils pourraient récupérer ces métaux précieux jetés aux égouts.

Dix kilos d’or par an

« Chaque année, les eaux usées bruxelloises charrient une dizaine de kilos de particules d’or, de 60 à 100 kilos de particules d’argent et jusqu’à un kilo de platine », indique le Pr Gilles Bruylants, de l’Ecole polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles.

Les chercheurs qui participent avec lui au projet Sublimus souhaitent mettre au point un procédé économique et écologique pour la récupération de ces métaux nobles contenus dans les boues résiduaires des stations d’épuration de la capitale. Depuis le début de ce projet de trois ans, la première phase de ce projet a déjà pu quantifier les quantités potentielles à récupérer dans les boues résiduelles.

Désormais, les chercheurs de Labiris (Meurice R&D, Campus CERIA, Anderlecht), vont étudier comment certains de ceux-ci pourraient être extraits sélectivement des boues en utilisant des bactéries (via la biolixiviation). Enfin, au cours de la troisième phase du projet, les équipes du laboratoire Engineering of Molecular NanoSystems (EMNS) de l’École Polytechnique de Bruxelles (ULB) et du laboratoire Analytical, Environmental and Geo-Chemistry (AMGC) de la VUB étudieront comment extraire et purifier les métaux précieux de leur matrice inorganique résiduelle.

Réduire les coûts des traitements dans les stations d’épuration

« Au cours de la première phase de nos recherches, nous avons déjà eu une surprise », annonce le Pr Bruylants. « L’or recherché ne se retrouvait pas nécessairement là où nous l’attendions.  Dans le processus d’épuration des eaux, ce métal ne se cachait pas dans le technosable (les boues résiduaires débarrassées de leurs matières organiques) mais bien dans l’eau de filtration », dévoile-t-il.

Avec Sublimus, les chercheurs pourraient donc un jour récupérer de manière économique ces métaux précieux dans les boues des stations d’épuration. « Cela a du sens quand on sait qu’il faut aujourd’hui traiter une tonne de minerai pour récupérer un gramme d’or », dit le chercheur de l’ULB. « Dans les boues bruxelloises, la teneur en or est du même niveau », estime-t-il.

Station d’épuration de Bruxelles © Région Bruxelles-Capitale

Mais l’intérêt du projet Sublimus est aussi ailleurs. En ôtant ces métaux des boues résiduaires, il serait aussi possible de réduire les coûts du traitement des eaux usées.

« Ces boues ont traditionnellement été utilisées comme engrais dans l’agriculture », indique l’ULB. « En raison des concentrations élevées de métaux lourds, cette pratique est désormais interdite en Flandres ainsi que dans de nombreux pays européens. Ces boues doivent dès lors être éliminées par incinération, avec les coûts et les risques environnementaux qui y sont associés. L’extraction et le recyclage des métaux envisagés par le projet Sublimus ne sont donc pas seulement un moyen de pallier la rareté des métaux. Ils permettent également de transformer un déchet problématique en une source de matières premières à part entière ».

Bénéfice environnemental

D’autant que les chercheurs ne travaillent pas que sur les métaux nobles. Les boues sont aussi riches en zinc, en cuivre, en plomb, en mercure. « Des éléments intéressants à récupérer ou qui sont particulièrement polluants et que nous avons tout intérêt à ne pas rejeter dans l’environnement », estime le Pr Bruylants.

Si les travaux des trois équipes aboutissent, les eaux usées bruxelloises et leurs résidus seront sans aucun doute plus propres. Et les procédés mis au point à Bruxelles pourraient ensuite être aussi utiles dans d’autres stations d’épuration dans le pays, voire ailleurs.

Mais au fait, d’où proviennent ces métaux qui barbotent dans les eaux usées bruxelloises? « D’une multitude de sources. De l’érosion des bijoux (or et argent), de leur utilisation dans des médicaments (or) ou comme agents antibactériens (argent) », indique-t-on encore à l’ULB. « Pour le platine, une des sources se situe dans les rejets des catalyseurs des moteurs diesel ».

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