Santé, marchandises, formation, qualité des produits, comportement des machines, création, mobilité… La digitalisation est partout. Et avec elle, les flots de données qu’elle génère. En tirer le meilleur parti était au centre des préoccupations des partenaires du programme européen interrégional « France-Wallonie-Vlaanderen » réunis, voici quelques jours, autour du thème de l’année : « la digitalisation dans nos projets».
« Le digital est une des clés de la coopération transfrontalière », estime Christian Carette, inspecteur général de Wallonie-Bruxelles International, un des partenaires de ce programme Interreg. « Un Européen sur trois vit dans une région transfrontalière. Pour réduire les obstacles à la mobilité, pour permettre le développement et l’innovation dans nos entreprises et nos services, le digital peut ouvrir les portes ».
L’IA est un outil de prédiction et d’innovation
Capteurs de fraîcheur des aliments, infirmières et patients connectés, cartographie des risques afin d’améliorer l’intervention des secours en cas d’incident transfrontalier. Toutes ces données, il faut pouvoir les digérer, les interpréter, les trier, les valoriser et peut-être, au final, inventer une nouvelle manière de travailler.
C’est ici que l’intelligence artificielle (IA) entre en piste. L’IA? Bruno Schröder, National Technology Officer chez Microsoft Belux, a une idée claire de ce que cela représente.
« Grâce aux outils digitaux et à l’intelligence artificielle, il est, par exemple, possible aujourd’hui de prédire certaines maladies ou dépressions chez des patients bipolaires », dit-il. « Ou encore de fabriquer des prothèses mammaires personnalisées, en impression 3D pour des patientes ayant subi une mastectomie ».
Une résolution de problèmes pilotée par les données
« Le recours à l’IA dans ce domaine, comme dans d’autres, revient à se demander comment nous résolvons un problème ». En se basant sur notre raisonnement et l’empirisme ? Cette méthode est encore au cœur de la pratique dans nos entreprises. Une autre méthode passe par la démarche scientifique qui débouche sur des modélisations. Enfin, il y a l’intelligence artificielle. Celle-ci se base sur un échantillonnage de données important. La capacité d’échantillonner puis de mesurer ces résultats et de les comparer avec d’autres bases de données permet aussi de résoudre nos problèmes. C’est cela l’intelligence artificielle ».
« C’est un autre concept de résolution de problèmes. Un concept dit « data driven », piloté par les données. Il est désormais accessible. Et ce, grâce au « cloud computing », qui offre des capacités de stockage et de calculs importantes et abordables. C’est le « cloud » qui a permis toutes les avancées de l’intelligence artificielle. Elle permet de résoudre des problèmes sans les comprendre, simplement en les mesurant et en les analysant, en trouvant des corrélations entre des comportements équivalents », insiste-t-il. « La démarche est donc ici différente de celle qui passe par les modélisations, les simulations, qui livrent des probabilités ».
Retour aux exemples médicaux. Le cas du patient bipolaire, dont la santé mentale alterne les phases positives avec des épisodes dépressifs. Ce type de patient est généralement suivi à échéances régulières par ses thérapeutes. Par exemple, une fois par mois. S’il rate un de ces rendez-vous, cela signifie peut-être que la phase dépressive dans laquelle il entre est déjà bien installée. Cela peut être dangereux pour la personne. « Des recherches menées à l’Université de Cornell, aux États-Unis, montrent que la survenue d’un épisode dépressif pouvait être prédite par l’intelligence artificielle », explique Bruno Schröder.
Détection précoce de cancers
« Or, en captant et en analysant simplement la vitesse à laquelle les pouces pianotent quotidiennement sur son téléphone portable, l’IA peut déceler un ralentissement des mouvements d’une personne (par exemple, dans la vitesse de passage d’un écran à l’autre ou dans la consultation des messages de réseaux sociaux). Ces changements peuvent dénoter une dégradation de l’état de santé. »
Autre exemple en matière de santé : l’analyse des requêtes adressées sur les moteurs de recherche. Une autre étude américaine rapportée par Bruno Schröder indique pouvoir aider à prévoir le risque de développer un cancer trois ans avant son diagnostic.
« Les séries temporelles des mots-clés utilisés par un internaute (maux de tête, vomissements, lourdeurs, essoufflement, insomnie…) ont permis d’identifier jusqu’à 15 % de personnes qui développeront un cancer du pancréas dans les trois ans », détaille-t-il. « Pour une détection précoce du cancer du poumon, ce taux de succès de la prédiction monte à 20 %. »
Les capteurs (internet des objets, caméras, micros, etc.) et autres outils de l’IA (repris sous l’anglicisme « cloud computing ») sont désormais largement disponibles. Y compris pour les collectivités et les entreprises. « Pourquoi s’en priver ? Cela peut être une source d’innovation radicale pour ses services, ses processus, voire même un changement de paradigme dans la manière de travailler de l’entreprise et des produits qu’elle propose. » Cet autre exemple, industriel, avancé par M. Schröder est parlant.
Services personnalisés aux clients
Pour un fabricant de machines, par exemple, le passage à l’IA permet d’offrir un autre service à ses clients et de se prémunir de la concurrence. Il ne vend plus seulement des machines. Il vend un service. Bien sûr, il livre sa machine à ses clients, mais il en suit en direct ses performances, son utilisation, son vieillissement grâce aux capteurs dont il a muni la machine.
« Le client n’achète donc plus une machine, mais un service clé sur porte, qui répond exactement à ses besoins, même si ceux-ci évoluent. Le fabricant de machines en question se protège par la même occasion de ses concurrents. Il connaît de mieux en mieux ses machines et leur cycle de vie. Il offre un service personnalisé à ses clients. Il n’a plus besoin de proposer un catalogue de machines. Sa technologie n’est donc plus aussi aisément « copiable » par un concurrent peu scrupuleux qui proposerait ensuite la même machine, mais en une version moins chère. »
« L’entreprise en question vend donc des machines dont il connaît tout grâce à ses données. Ce qui, encore une fois, échappe au concurrent mal intentionné. » De quoi assurer le succès de son entreprise. Mais aussi, de faire réfléchir les membres du projet Interreg France-Wallonie-Vlaanderen aux implications (multiples) du passage de leurs activités au digital et à l’intelligence artificielle, pour se développer.