Série (2/5) : La recherche en mode BW (Brésil-Wallonie)
Il y a des richesses cachées dans les déchets verts. La preuve par les travaux menés à la Haute Ecole provinciale du Hainaut Condorcet, située à Ath, par le Dr Benoît Moreau. Ce biochimiste s’intéresse aux composés tensioactifs. Ceux qu’on retrouve dans les détergents, mais aussi dans nombre d’autres produits. Plus exactement, c’est leur production suivant les principes de la chimie verte qui le mobilise. Au point d’y consacrer des centaines d’heures de travail chaque année. « Parallèlement aux cours que nous donnons, nous faisons également de la recherche à Condorcet», précise-t-il. Et cette recherche se développe parfois bien loin de Ath…
Après son doctorat à Gembloux sur la synthèse de nouvelles molécules tensioactives à partir de biocatalyseurs, et un postdoctorat à Montpellier suivi d’une expérience dans l’industrie, le Dr Moreau rentre en Belgique. Enseignant à la Haute Ecole Condorcet dès 2013, il crée voici trois ans son unité de recherche « Chimie verte et produits biobasés ».
Une recherche orpheline
Pourquoi ce choix ? Et surtout celui d’axer ses travaux sur les biocatalyseurs et les tensioactifs ? « Je ne voulais pas refaire une recherche qui avait déjà lieu ailleurs, dans une université ou un centre de recherche de Wallonie », confie-t-il. « J’ai cherché un créneau orphelin. C’est ainsi que j’ai repris la thématique de ma thèse. Faire la synthèse de nouvelles molécules tensioactives à partir de déchets de matières premières renouvelables. La philosophie de mon unité de recherche porte sur la valorisation de ces sous-produits, de ces déchets, issus des bio-industries et des industries agroalimentaires. Et ceci, afin de produire de nouvelles molécules à haute valeur ajoutée, par exemple les tensioactifs ».
On retrouve les tensioactifs, notamment, dans les détergents. « Ces molécules ont une structure chimique qui contient une tête polaire hydrophile et une queue hydrophobe, qui n’aime pas l’eau », précise le chercheur. « Dans les rebuts industriels issus de matières renouvelables, nous voulons isoler les têtes polaires et les queues hydrophobes pour ensuite les greffer les unes aux autres. Nous souhaitons effectuer ce greffage via un biocatalyseur, c’est-à-dire des enzymes qui sont produits par des micro-organismes. C’est cela, la chimie verte. Une démarche qui respecte un peu plus l’environnement. »
Détergents, cosmétiques, agroalimentaire, pharmacie…
« Ces molécules bio-sourcées sont intéressantes pour les fabricants de détergents », assure-t-il. « Mais il existe de nombreux autres secteurs qui utilisent de tels agents et qui pourraient vouloir passer à ces molécules produites de manière renouvelable et synthétisées par des enzymes. C’est-à-dire dans des conditions nettement plus douces par rapport à la voie chimique de synthèse classique ».
Quelques exemples ? C’est le cas des émulsions, comme la mayonnaise : grâce aux tensioactifs, on réussit à mélanger des produits non-miscibles, comme du vinaigre avec de l’huile. Les émulsions se retrouvent aussi dans les cosmétiques et le milieu pharmaceutique. En agriculture également. Les agents mouillants, qui permettent aux produits actifs de mieux s’arrimer à diverses surfaces, dont les végétaux, sont également des tensioactifs.
« Il y a deux ans, grâce à Wallonie-Bruxelles International et SynHERA, le réseau « recherche » des Hautes Ecoles, j’ai eu l’occasion de participer à une conférence sur la chimie verte à l’Instituto Nacional de Tecnologia (INT), à Rio de Janeiro, au Brésil », explique-t-il. Cela a été un… catalyseur. « J’y ai rencontré divers chercheurs, de l’Université fédérale de Rio, et de Fiocruz, confrontés aux mêmes problématiques que les nôtres. Nous avons décidé d’aller de l’avant ».
« Nous travaillons désormais ensemble à la mise sur pied d’un pré-projet. J’aurais dû rencontrer mes collègues brésiliens en avril dernier, mais la pandémie de Covid-19 a perturbé notre calendrier. Dans un premier temps, nous souhaitons accueillir un chercheur brésilien à Ath, dans mon unité de recherche, afin de réaliser des études préliminaires. Il s’agit de mettre au point un démonstrateur technologique de ce que nous envisageons de faire à une échelle industrielle (et qui est encore confidentiel à ce stade). Après avoir mis ce démonstrateur au point, et prouvé la faisabilité du procédé sur lequel nous travaillons, nous déposerons alors un ambitieux projet de collaboration internationale ».
A Ath comme à Rio, les déchets verts de brasserie et autres cannes à sucre vont bientôt connaître une nouvelle vie.