Pour la première fois, un état des lieux de la présence de bactéries résistantes aux antibiotiques a été établi dans les cours d’eau wallon. C’est la cellule de microbiologie de l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP) qui a mené pendant plus d’un an cette étude, soutenue par le plan ENVIeS de la Région Wallonne. Le constat est sans appel : des germes antibiorésistants ont été retrouvés dans toutes les zones aquatiques échantillonnées.
700.000 décès dus chaque année aux germes résistants
Certaines bactéries sont, de façon innée, résistantes à des antibiotiques. D’autres peuvent, par divers mécanismes, acquérir des résistances avec le temps. Néanmoins, l’usage déraisonné des antibiotiques chez l’humain, les animaux, et les plantes, accélère l’apparition et la propagation de ce phénomène de résistance.
Dans son dernier rapport, l’OMS informe ainsi que « des niveaux de résistance alarmants ont été signalés dans des pays de tous niveaux de revenus, avec pour conséquence que des maladies communes deviennent incurables et que des procédures médicales conçues pour mettre les patients hors de danger deviennent plus risquées à mettre en œuvre ». Les infections pharmacorésistantes sont de cette manière la cause de 700.000 décès chaque année.
Une fois devenus résistants, les microbes peuvent se transmettre entre individus, entre animaux, entre individus et animaux, mais aussi entre l’environnement et les individus. Or, « il n’existe que très peu d’études inventoriant les sources d’infection dans l’environnement et, en particulier, dans les milieux aquatiques », précise l’ISSeP. En Wallonie, aucune étude sur le sujet n’avait été réalisée. De là, est né le projet ANTIBIOBUG.
E.coli à l’épreuve de douze antibiotiques
L’objectif du projet ? Elaborer et tester des méthodes simples, afin d’évaluer la présence dans l’environnement aquatique wallon de ces bactéries, et, plus spécifiquement, des Escherichia coli.
« Ces germes vivent naturellement dans la flore intestinale des mammifères et des oiseaux. Via les déjections fécales, ils circulent ainsi dans les égouts et se retrouvent bien souvent dans le milieu aquatique », explique Leslie Crettels, responsable de l’étude.
Pour savoir si nos cours d’eau hébergent des E. coli antibiorésistants, l’équipe de l’ISSeP a effectué deux campagnes de prélèvements dans 24 points différents de l’Ourthe et de la Vesdre, un affluent de l’Ourthe, en mai et octobre 2019. « Nous avons récolté des échantillons dans des eaux de rejet, mais aussi dans les eaux de surface, en amont et en aval de ces rejets. Et ce, dans différentes zones : rurales, urbaines, forestières et hospitalières », précise la bioingénieure.
Parmi tous ces échantillons, 938 souches d’E. coli ont été isolées. Leur antibiorésistance a été évaluée par le test de l’antibiogramme avec douze antibiotiques spécifiques, les plus vendus à ce jour pour traiter l’humain et l’animal en Belgique.
Les effluents hospitaliers davantage contaminés
Résultats ? Des bactéries E. coli antibiorésistantes ont bel et bien été repérées dans la Vesdre et l’Ourthe. « Nous en avons découvertes dans l’ensemble des points de prélèvements, au moins une à chaque fois, y compris dans les zones les plus reculées, en milieu rural », note Leslie Crettels. Ajoutant que des résistances aux douze antibiotiques testés ont été observées. « La bonne nouvelle reste que les médicaments les moins performants sont aussi les plus anciens du marché. Les plus récents, et ceux utilisés actuellement en dernier recours en milieu hospitalier, demeurent assez efficaces », affirme la chercheuse.
L’étude constate également que ce sont les effluents hospitaliers qui hébergent le plus grand nombre de germes multirésistants. « 70% des E. coli localisés dans ces effluents étaient ainsi résistants à un antibiotique testé ; quand un peu de plus de 40% étaient résistants à au moins trois médicaments ».
Du cours d’eau à l’assiette
Le fait qu’il existe de tels germes dans les eaux wallonnes pose évidemment question : « Leur présence entraîne un risque direct pour l’Homme, dans les lieux de baignades. Mais aussi indirect, par la consommation d’animaux vivant dans ces milieux aquatiques. Il serait en outre possible que les nappes phréatiques soient contaminées par ces E. coli résistants. De même que les cultures, via l’utilisation comme engrais des boues de stations d’épuration », énumère la bioingénieure.
« Or, il n’existe pas à l’heure actuelle de norme ni de seuil d’alerte. Alors que c’est le cas pour d’autres contaminant », précise-t-elle encore.
L’ISSeP entend approfondir ces résultats dans les années à venir. Un second projet est d’ailleurs déjà prévu : ANTIBIOBUG « 2 » débutera en octobre prochain et ciblera la détection des E. coli antibiorésistants dans les sites de baignades wallons.