Selon l’eurobaromètre, 34% des personnes interrogées en automne 2019 considéraient l’immigration comme le problème le plus important auquel doit faire face l’Union européenne. En Belgique, l’immigration arrivait au premier rang des préoccupations chez 44% des personnes sondées pour l’étude commandée par la Commission européenne.
L’historien Pol Delfosse rappelle que «depuis les origines les plus lointaines, l’Europe et la Belgique ont toujours été parcourues par des migrants à la recherche de nouveaux espaces. Pour fuir un danger ou pour trouver de nouvelles ressources».
«Le migrant n’est pas une calamité», souligne le professeur honoraire de l’Université libre de Bruxelles (ULB) dans son étude sur «Les flux migratoires en Belgique aux XIXe et XXe siècles», éditée par La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. «Le migrant n’est pas uniquement une force de travail. Il est aussi une force d’évolution culturelle qui fait avancer les sociétés qui l’accueillent. Et ceci dans tous les domaines des sciences, des arts, des sports et des cultures quotidiennes.»
La Wallonie réclamait des travailleurs
Au XIXe siècle, la Belgique est surtout une terre d’émigration. Mais en Wallonie, les mines de charbon et l’industrie sidérurgique naissante réclament de la main-d’œuvre. Des milliers de travailleurs viennent de Flandre, restée une région rurale et pauvre. D’autres arrivent des pays limitrophes.
Pendant l’entre-deux-guerres, l’État, qui avait laissé aux patrons la liberté d’embaucher, régule les apports étrangers selon les besoins et les crises économiques. Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’exploitation des ressources charbonnières est devenue un atout majeur pour la reconstruction et la prospérité du pays. Elle exige un supplément de travailleurs. De 1945 à 1975, les autorités belges recrutent de la main-d’œuvre à l’extérieur des frontières.
«Cette politique sera à l’origine d’importants flux migratoires», note Pol Delfosse. «Les démographes distinguent 3 phases. La première, de 1948 à 1974, est celle du recrutement de main-d’œuvre et des accords bilatéraux signés avec des États méditerranéens. À la crise pétrolière des années 1970 succède une période, de 1974 à 1985, pendant laquelle les gouvernements mettent fin au recrutement. Et s’efforcent de contrôler l’immigration. Ce qui aurait dû avoir comme conséquence une réduction du nombre d’étrangers sur le territoire. Il n’en fut rien à cause du regroupement familial. De la migration matrimoniale et de la migration clandestine et d’asile qui vont se substituer à la migration de travailleurs.»
La nationalité belge séduit
Vers 1985, débute une troisième phase qui couvre les deux premières décennies du XXIe siècle.
«Il s’agit d’une phase contradictoire qui se caractérise par une reprise de l’immigration», précise le chercheur. «Et par une volonté des gouvernements de maîtriser les flux migratoires. La reprise de l’immigration au cours de cette période s’explique par l’intensification des déplacements de populations en Europe à la suite des élargissements successifs de l’Union européenne. Par les entrées en Belgique de ressortissants venus d’Europe centrale et orientale. Les regroupements familiaux. L’entrée d’étudiants et de travailleurs. Et enfin l’arrivée plus récente de demandeurs d’asile venus d’Afrique subsaharienne ou d’Orient.»
À partir des années 1990, un grand nombre de travailleurs immigrés italiens, marocains et turcs nés à l’étranger, et leurs enfants nés à l’étranger ou en Belgique, optent pour la nationalité belge.
Un manque d’imagination
Pour l’historien, «les gouvernements belges de l’après-guerre ne semblent pas avoir imaginé les conséquences multiples, sociologiques, psychologiques et autres qu’impliquait l’arrivée sur le territoire de dizaines de milliers de personnes. Ayant des traditions de vie très différentes. Pratiquant des langues dialectales appartenant à d’autres familles linguistiques non-indo-européennes. Ou encore ayant une religion, l’islam, quasi-absente en Belgique».
«Ils n’ont pas non plus imaginé qu’en permettant le regroupement familial et l’immigration matrimoniale, il fallait envisager que ces immigrés économiques ne rentreraient plus dans leur pays.»
«Professeur dans un établissement du Nord de Bruxelles, j’ai vu arriver dans mes classes à partir des années 1970, nombre de ces adolescents dont le handicap linguistique et culturel était évident», raconte Pol Delfosse. «Notre système scolaire n’était pas préparé pour les accueillir. Et ainsi, d’échec en échec, nombre de ces élèves ont été dirigés vers l’enseignement professionnel. Et des écoles sont devenues des écoles ghettos.»