La pandémie de Covid-19 perturbe le bien-être mental des adolescents. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèle que, déjà entre 2014 et 2018, davantage d’Européens âgés de 11 à 15 ans avaient des problèmes de santé mentale. Plus de jeunes se disaient nerveux, irritables, déprimés.
Une déprime passagère est normale à l’adolescence. Mais des périodes régulières, prolongées, peuvent déclencher une véritable dépression. Avoir, à long terme, des conséquences négatives sur la santé et le bien-être.
Les thérapeutes Aurore Boulard et Cédric Leclercq analysent cette maladie dans l’«Ado, déprimé ou dépressif?» aux éditions De Boeck Supérieur. Pour la comprendre. La prévenir. Mieux la soigner.
«Notre travail de recherche a permis d’étudier les différents facteurs de risque liés à l’humeur dépressive et à la dépression sévère», expliquent la psychologue clinicienne et le pédopsychiatre. «Quant au travail clinique, mené à long terme avec des adolescents dépressifs, il nous a aidés à mieux comprendre comment s’agençaient ces facteurs, d’une part. Et comment se développait cette maladie, d’autre part.»
Écouter et intervenir au plus tôt
Lors de la première séance de psychothérapie, Aurore Boulard demande à l’adolescent: «Qu’est-ce qui a fait que tu es devenu ce que tu es aujourd’hui?». Le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez apprécie cette stratégie.
«La lecture du livre est passionnante», juge le professeur émérite de l’UCLouvain. «Les professionnels peuvent largement s’en inspirer, sans viser à en être des clones. Les parents aussi bénéficieront de la lecture de ces pages. Elles leur rappellent fondamentalement l’importance de l’écoute. De la disponibilité et de l’engagement de soi dans un dialogue familial informel. Où chacun peut faire part de son histoire de vie. La construire et l’enrichir en puisant dans son monde personnel. Mais aussi dans ce que l’autre perçoit, partage ou nuance.»
La dépression se développe parfois rapidement. Des signes peuvent déjà survenir vers l’âge de 9-10 ans. Soit 4 à 5 ans avant le premier diagnostic de la maladie. Selon les chercheurs, «s’ils sont reconnus et diagnostiqués tôt, les changements observés permettent une intervention plus précoce. Idéalement avant que l’adolescent ne plonge dans une dépression sévère. Celle-ci se révélant beaucoup plus compliquée à soigner et présentant davantage de risques de récidive.»
Des signes révélateurs
Diagnostiquer, étudier une dépression chez les enfants et les adolescents n’est pas facile. Les signes et symptômes évoluent avec l’âge. Les ados qui expriment une plainte évidente de nature dépressive sont assez rares.
La dépression est fréquemment associée à des troubles de l’humeur. L’irritabilité est plus manifeste et visible chez les ados que chez les adultes. L’agressivité peut aussi être un signe de dépression. L’hostilité et le retrait social sont plus prononcés chez les jeunes filles qui extériorisent souvent davantage la tristesse et leurs émotions que les garçons.
«Deux symptômes facilement repérables par l’entourage, pour autant que l’on y prête attention», relèvent les chercheurs. «Beaucoup plus facilement que les affects dépressifs proprement dits. Qui ne sont pas toujours exprimés et susceptibles d’être compris de manière très différente selon la subjectivité de chacun. Se sentir jugé, exclu ou différent des autres sont des facteurs qui influencent le plus l’humeur dépressive. Ce qui montre l’importance du groupe de pairs sur le bien-être de l’adolescent.»
Les victimes d’un harcèlement scolaire ou d’un cyberharcèlement ont un niveau de dépression plus élevé. Et des pensées suicidaires plus fréquentes.
Une approche thérapeutique double
Les récits de quelque 200 ados, âgés de 12 à 18 ans, ont amené les thérapeutes à comprendre autrement la dépression. À appliquer une méthode double. Une attitude concrète combinée à une approche de fond qui s’occupe de l’image de soi et du récit sur soi-même. «Elle n’exclut aucune école psychothérapeutique en particulier», soulignent les chercheurs. «Elle fixe comme priorité l’aide et le développement de l’individu libre au sein de son environnement.»
La plupart du temps, l’action conjuguée des jeunes, parents, éducateurs, enseignants et soignants accroît la qualité de l’aide. Pour Aurore Boulard et Cédric Leclercq, «le suivi individuel, la participation à une thérapie de groupe et les programmes d’intervention auprès d’adolescents à risque montrent de bons résultats à court et long termes. Les programmes d’éducation parentale, par exemple, ont montré leurs effets sur le bien-être de l’enfant, minimisant ainsi les risques de dépression».