Décollage © Arianespace

Prométhée accompagne l’histoire de l’humanité

22 janvier 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Prometheus propulsera les futurs lanceurs spatiaux européens. Premiers essais, en 2021, de ce moteur réutilisable alimenté par de l’oxygène liquide et du méthane. L’acronyme du «Precursor Reusable Oxygen METHan cost Effective propUlsion System» résume ses principales caractéristiques. Qu’une prouesse technique se réfère à Prométhée, le héros qui a dérobé le feu aux dieux pour l’offrir aux humains, n’étonne pas Monique Mund-Dopchie.

«Prométhée, promoteur de la science en tant que connaissance, se transforme en promoteur du progrès matériel et du perfectionnement technique qui en constituent les retombées», explique la professeure émérite de littérature et d’histoire de l’humanisme à l’UCLouvain.

«Les mythes de l’âge d’or et de Prométhée jouissent d’une survie remarquable dans l’imaginaire occidental. Le fait n’est pas surprenant dans la mesure où l’un et l’autre abordent la question de l’existence première des hommes sur la Terre en tentant d’apporter une réponse aux interrogations de l’humanité face à sa propre évolution.»

« Prométhée et la notion de progrès », par Monique Mund-Dopchie. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros

À la lecture des Anciens

La membre de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique publie «Prométhée et la notion de progrès» dans la collection «L’Académie en poche». S’appuie sur des auteurs anciens et modernes pour épingler des traits du mythe grec. Analyser le don des techniques associées au feu. «La complexité du mythe de Prométhée, à la fois durant l’Antiquité et dans ses réutilisations contemporaines, rend illusoire la prétention de tirer toutes les conclusions de son examen», juge la chercheuse.

Vivant au VIIIe siècle avant notre ère, Hésiode est l’auteur des premiers textes conservés sur le mythe. «À la vision pessimiste du don de Prométhée transmise par Hésiode s’oppose la vision optimiste soutenue par Eschyle et par Platon», constate la docteure en philologie classique.

Au IIe siècle de notre ère, Lucien de Samosate parodie ses prédécesseurs. Le satiriste aborde le mythe pour faire rire ou sourire. Selon Monique Mund-Dopchie, «Lucien est celui des quatre auteurs qui fournit le plus d’éléments sur la faute que signifie le rapt du feu au regard des dieux. »

«Le feu qui a distingué l’homme de l’animal et l’a rapproché des dieux par son pouvoir sur la nature entraîne chez celui-ci une conscience de devoir payer le prix de ce vol. Certains voient aujourd’hui une résurgence de ce sentiment de culpabilité originelle dans les débats sur la transmission énergétique, qui portent sur les relations entre technique, société et nature. Au contraire, le mythe gréco-latin de Prométhée dédouane l’humanité de cette faute. Et de toute forme de culpabilité à cet égard.»

Des limites au progrès technique

D’après l’helléniste, on ne peut pas tenir rigueur aux écrivains, inspirés par les philosophes des Lumières du XVIIIe siècle, qui ont fait de Prométhée le représentant d’une humanité éprise de rationalité et de liberté. Un opposant au déterminisme imposé par la divinité.

«Il apparaît que le symbolisme du mythe grec diffère de celui qui est mis en œuvre dans les références contemporaines. On notera que les auteurs anciens et modernes étudiés dans ce livre exploitent un socle commun du mythe. À savoir l’ambivalence du personnage de Prométhée et de ses dons pour l’appliquer à des enjeux spécifiques à leur temps.»

Les auteurs de l’Antiquité fixent des limites au progrès technique. Selon Eschyle, ce progrès n’est possible que si les hommes ont foi dans l’avenir et oublient leur condition de mortels. Comme Sophocle, Platon considère que les progrès techniques ne seront durables que s’ils sont encadrés par les vertus qui assurent cohésion sociale et vie de la cité.

«Pour le philosophe, ces vertus peuvent s’enseigner et sont dès lors accessibles à tous les humains du fait de leur capacité de raisonner», souligne la philologue.

Revisiter les Grecs

La conviction profonde de Monique Mund-Dopchie est qu’«il est utile de revisiter les Grecs avec leur philosophie, leurs tragédies et leurs mythes.»

«Certes, le monde dans lequel ils ont vécu est radicalement différent du nôtre. Et ils ne pouvaient imaginer, d’une part, l’explosion démographique. D’autre part, le développement de capacités techniques qui placent les hommes, ou du moins certains d’entre eux, devant une alternative. Améliorer le monde ou le détruire. Remédier aux maux sortis de la jarre de Pandore ou modifier par l’artifice la condition humaine.»

«Il est donc risqué de leur prêter une attitude face à ces enjeux auxquels ils n’ont pas été confrontés», conclut la chercheuse. «On peut cependant supposer qu’ils auraient continué à fixer des limites à l’usage de leurs inventions. Tant ils étaient conscients de la fragilité du destin humain, en proie aux forces du cosmos qu’ils ne maîtriseraient jamais. Quel que soit le niveau de leurs connaissances.»

 

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