Le psychiatre Philippe de Timary, responsable de l’unité d’hépatologie intégrée aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, et la psychothérapeute Anne Toussaint ont réussi un tour de force. Réunir des psychiatres, des psychologues, des psychothérapeutes, des psychanalystes, des chercheurs, des spécialistes en économie, un gastroentérologue, un généraliste, des infirmières pour décrire les difficultés et les possibilités de «Sortir l’alcoolique de son isolement».
Cet ouvrage, paru aux éditions De Boeck dans le «Carrefour des psychothérapies», fait la part belle aux neurosciences et à la recherche. Il livre des clés aux professionnels, aux étudiants, aux malades et à leur famille pour enrayer la spirale de la dépendance.
Quelque 7% de la population des pays développés souffrent d’alcoolisme. Insensiblement, la société pousse les personnes dépendantes à mentir. Pour défendre leur image. Pour ne pas être rejetées. Parfois, des malades continuent à boire pour se détruire. Et pour échapper à une société qui ne les accepte pas.
Une prise en charge précoce difficile
Un deuil, une séparation affective, la perte d’un emploi ou une surcharge professionnelle peuvent faire basculer dans l’alcoolisme. Comme le plaisir de boire en compagnie. L’origine de l’addiction pourrait aussi remonter à la petite enfance. Être influencée par plusieurs gènes.
«Une prise en charge précoce, dès les premiers signes d’une consommation problématique, constitue très certainement la meilleure option thérapeutique possible», assure la psychologue Aurore Neumann. «Hélas, comme bien souvent dans le domaine des soins de santé, cet idéal vient se heurter à une réalité qui est tout autre. La période entre les débuts d’une consommation problématique, la dépendance à l’alcool et la prise en charge excède fréquemment les dix ans. La principale raison de cet extrême réside dans le fait que le patient alcoolique occulte le plus longtemps possible la réalité de sa dépendance. La motivation est un élément clé dans le traitement des addictions. Tant les chercheurs que les cliniciens continuent à s’interroger quotidiennement sur les meilleures manières d’influencer cette motivation.»
Briser le mur du silence
Hésitant à consulter un psy, des malades s’orientent vers la médecine somatique… «Le médecin du corps dispose des moyens pour mesurer, chiffrer et visualiser les conséquences de l’abus d’alcool», explique le gastroentérologue Peter Starkel. «La discussion ouverte avec le patient sur des anomalies physiques constatées lors du bilan organique et la démonstration de leur lien avec l’abus d’alcool peut aider à briser le mur du silence. Il permet ainsi au patient de prendre conscience de la gravité du problème. Et de revoir sa position quant à la nécessité d’une prise en charge.»
Garder le lien avec le patient
L’enjeu du thérapeute est de garder un lien avec le patient qui tente une première démarche. De maintenir un espace de parole. D’informer sur les nouveaux suivis comme les équipes mobiles de psys à domicile. Ou l’hospitalisation scindée: deux semaines à l’hôpital séparées par une semaine en dehors de l’établissement.
L’assuétude peut mener à l’utilisation d’une drogue de substitution pour permettre le sevrage… «L’évocation de la nocivité des médicaments ne doit pas mener à une dénonciation systématique de leur usage», souligne le psychiatre Alexandre Beine. «La pharmacologie de l’alcool reste encore mal connue. Les effets moléculaires de l’intoxication éthylique aiguë et les conséquences chroniques du sevrage, de la tolérance et de la dépendance concernent de nombreux systèmes de neurotransmissions, dont les influences mutuelles et intriquées compliquent l’étude.»
La rechute n’est pas un échec
La question de l’isolement social se pose particulièrement en fin d’un sevrage et de la postcure. Les groupes d’entraide comme les Alcooliques Anonymes concourent à la reconstruction d’un univers relationnel, indispensable au changement de vie.
Et si le malade rechute? «Ce n’est pas forcément un échec», juge la psychologue Sandrine Rastelli. «La rechute peut être comprise comme partie prenante du processus de soins dans la mesure où elle est récupérée dans la relation thérapeutique comme moment de crise qui ouvre une nouvelle phase dans le processus d’élaboration par rapport à la place de l’alcool dans la vie du sujet.»